Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, III.djvu/497

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
487
beurier. — philosophie de m. renouvier

problème de l’évolution ab infimo qui se pose et sur lequel il faut revenir. « Si les spéculations qui ramènent la vie et la pensée à des organismes élémentaires et à des sentiments évanouissants pouvaient aboutir, elles auraient aussi pour effet de déduire les catégories supérieures des catégories inférieures, ce qui est contraire à la logique. Rien dans le monde, à commencer par l’espace et le temps, n’est concevable que par la conscience, et l’on voudrait faire sortir la conscience des formes mêmes qui en sont extraites et ne valent que comme abstractions quand on les en sépare ! Ainsi le monde existerait avant la sensibilité ; il y aurait des objets avant que des objets fussent représentés, des sujets sans rien d’intelligible pour les définir[1] ! » C’est impossible, car le monde qui est un ensemble de représentations est par cela même forcément un ensemble de consciences[2]. D’ailleurs est-ce que rien s’oppose à ce que des ensembles plus ou moins individualisés et centralisés de phénomènes, le système planétaire, une planète avec ses règnes naturels, un sel cristallisé soient regardés comme les produits des facultés organisantes des êtres élémentaires ? « L’expérience ne saurait prouver que les êtres dont nous parlons possèdent les sortes de perceptions et d’appétits nécessaires à l’enchaînement des phénomènes. Elle ne saurait non plus prouver le contraire. Une induction à laquelle on s’est de tout temps abandonné volontiers nous porte à le penser, et, ce qui est plus fort, l’unité synthétique de l’objectif et du subjectif dans la représentation, la forme unique de toute connaissance, ne nous laissant aucun autre parti à prendre lorsque nous cherchons à nous rendre compte de ce que doivent être les derniers des êtres[3]. »


Harmonie universelle, accord de la raison et de la nature par suite de la conformité des lois de la conscience et de celles du monde, telle est en résumé la conception générale des choses que la

  1. Log. gén., III, 174.
  2. Id., III, 207. Je crois devoir reproduire les paroles textuelles de M. Renouvier. Voici comment il s’exprime : « S’il est vrai, comme j’ai cru le démontrer, que toute chose est pour nous représentation, phénomène, rapport ; que le représentatif et le représenté sont indispensables l’un et l’autre à la constitution d’un objet quelconque de la connaissance, et que le pur être en soi n’a pas de sens, alors les catégories que notre analyse a parcourues nous ont soumis des données purement abstraites jusqu’au moment où, réunies dans la dernière d’entre elles, elles ont pu composer un phénomène complet, une représentation véritable. Sans conscience, la représentation est inintelligible ; je ne dis pas sans ma conscience, mais bien sans les fonctions semblables que ma conscience envisage dans le non-soi ; et puisque le monde est un ensemble de représentations, il est donc un ensemble de consciences. »
  3. Psychologie rationnelle, I, 15.