Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, III.djvu/511

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
501
p. janet. — une illusion d’optique interne

croissement continu. Il faut donc avoir recours à un autre mode d’explication, à une autre loi ; et cette loi, c’est que le sentiment de la durée partielle est en raison inverse de la durée totale de l’existence.

Cette appréciation de la durée, par la comparaison de la partie au tout, a encore certaines applications qui peuvent servir de vérifications ou d’exemples de la loi proposée. Dans toute occupation ennuyeuse et fatigante, la durée de chaque portion de temps nous paraît toujours proportionnelle à la durée totale. Par exemple, dans un voyage en chemin de fer, qui est, on le sait, une grande épreuve pour les personnes impatientes et nerveuses, auxquelles l’immobilité est pénible, une heure paraîtra aussi longue que quatre heures, s’il s’agit d’un voyage quatre fois moins long ; et un quart d’heure paraîtra aussi long qu’une heure dans un voyage encore quatre fois plus court, Allez de Paris à Orléans, vous serez déjà fatigué quand vous arriverez à Choisy. Allez de Paris à Bordeaux, vous n’éprouverez le même sentiment de fatigue et d’ennui qu’à Orléans.

Si nous passons de la psychologie à la métaphysique, notre loi pourrait servir peut-être à nous expliquer, au moins approximativement, un paradoxe métaphysique, bien connu de nos écoles, et qui a toujours révolté le sens commun et l’imagination vulgaire. Ce paradoxe, c’est que Dieu est un éternel présent, qu’il n’a ni passé ni futur, et que le temps tout entier est ramassé pour lui en un seul point, c’est-à-dire n’est qu’un seul instant. En effet, demandons-nous ce que c’est qu’un instant pour l’enfant qui vient de naître, c’est en quelque sorte l’instant lui-même, l’instant absolu : car n’ayant encore vécu que cet instant, il ne peut pas pour lui y en avoir d’autre. Mais pour l’enfant d’un an, l’heure serait déjà devenue un instant. Pour le centenaire, ce sera l’année qui ne sera plus qu’un instant. Pour celui qui vivrait cent siècles, c’est le siècle qui deviendrait un instant. Ainsi la durée tend toujours à s’évanouir et à se réduire à rien, selon qu’on la compare à un total plus vaste. De même que pour Pascal, l’univers n’est qu’un point par rapport à la sphère infinie qui est tout, de même la durée la plus longue que l’imagination humaine puisse concevoir, ne sera jamais qu’un point par rapport à la durée infinie. En conséquence pour l’être qui durerait toujours, toujours ne serait qu’un instant. Mais le mot toujours a ici deux sens, car le premier exprime la durée absolue, et le second la durée relative. C’est ce qu’on veut dire encore en disant que Dieu remplit le temps, et qu’il n’est pas dans le temps : c’est-à-dire qu’au regard de la durée absolue, la durée relative, le temps, est comme s’il n’était pas. À la vérité, il reste toujours une très-grande différence entre les deux cas : c’est que l’homme coule lui-même avec le temps ; tandis