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bares peut détruire tout à coup l’unité politique d’une nation, sans arrêter immédiatement la vie locale ; de même on voit longtemps encore après la mort brusque d’un animal, surtout d’un animal à sang froid, ses parties séparées exécuter encore les mouvements qui leur sont propres, par exemple, les muqueuses épithéliales à cils vibratiles continuer à mouvoir en cadence les cils dont chaque cellule est munie.

Toutefois, l’auteur ne se dissimule pas qu’il y a une « extrême » différence entre une société et un organisme proprement dit. « Les parties d’un animal forment un tout vraiment concret, tandis qu’une société n’est qu’un tout discret. Les unités composantes sont, d’un côté, soudées entre elles ; de l’autre, elles sont plus ou moins dispersées, libres et sans contact. » Il y a plus, à cette différence de cohésion se rattache une deuxième différence encore plus frappante. « Chez l’animal, la conscience est concentrée dans un sensorium, c’est-à-dire dans une petite partie de l’agrégat ; le reste en est dépourvu, ou à peu près ; dans une société, la conscience est répandue partout : tous les membres sont capables de bonheur ou de souffrance, au même degré, ou peu s’en faut ; il n’y a pas de sensorium social. Il suit de là que le bien de la communauté ne saurait être cherché en dehors du bien des individus. La société existe pour le bonheur de ses membres et non inversement. Quelques efforts que l’on fasse (et avec raison) pour procurer la prospérité du corps politique, il n’est pas moins vrai que l’état n’a de droits qu’en tant qu’il représente les droits des citoyens. »

On le voit, M. Spencer insiste avec toute la force désirable sur cette différence capitale entre « les fins » de l’organisme animal et celles de l’organisme social. N’y a-t-il pas lieu de s’étonner qu’après avoir indiqué si nettement cette différence, il n’ait pas cru devoir en tenir plus de compte ? Selon lui, elle a beau être profonde, elle ne trouble pas d’une manière sensible l’analogie qu’il s’applique à établir. Elle n’empêche pas qu’il n’y ait, de part et d’autre, organisation, et que les lois de l’organisation ne soient les mêmes de part et d’autre. Si dans un animal la communication des parties est plus directe, leur coopération plus vive, grâce à leur cohésion même et à leur liaison plus étroite, n’y a-t-il pas aussi communication, coopération, influence réciproque entre les membres d’une société ? N’agissent-ils pas les uns sur les autres par le langage émotionnel, par la parole, par l’écriture ? Les impulsions dans un vivant se propagent soit par le contact immédiat, soit par des canaux spéciaux (the function of which has been signifiacantly called internuncial) ; les impulsions, dans une société, se propagent d’une personne à l’autre, en dépit des intervalles, par les signes de toute sorte, d’abord vaguement, lentement et à de courtes distances, mais bientôt d’une façon plus précise, plus prompte, et à des distances prodigieuses.

C’est ainsi que l’auteur s’efforce d’atténuer et de faire paraître secondaire la différence qu’il a lui-même signalée. Son parallèle lui plaît tant et va lui fournir des développements si riches, si ingénieux, qu’il