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rapidement informé par mille intermédiaires de tout ce qui intéresse les différentes parties d’une vaste communauté, donne des ordres en conséquence, lesquels, transmis du grand centre aux centres inférieurs, sont exécutés au loin par les autorités locales. — Tout ce chapitre est du plus vif intérêt : L’histoire ou genèse de la centralisation ne saurait être retracée avec plus de force. Que l’auteur nous permette seulement de relever dans ces pages remarquables quelques passages qui donnent à réfléchir. En naturaliste qu’il est, il regarde visiblement comme supérieurs aux autres les états les plus centralisés : Comment nier, en effet, la supériorité d’organisation du mammifère doué d’un système cérébro-spinal sur l’annélide qui n’a qu’un appareil ganglionnaire ? Cela posé, il faudrait regarder résolument comme un bien la guerre, qui enfante les gouvernements despotiques et qui est nécessaire pour les fairer durer. Mais M. Spencer qui est philosophe, qui est Anglais, et de l’école libérale, ne’peut goûter tout à fait cette conséquence de son système. À vrai dire, il se contient longtemps, et semble avoir à cœur de parler sans admiration ni sympathie de ces heureuses peuplades qui a ne savent pas même ce qu’est la guerre, » qui ne connaissent « ni vengeance, ni cruauté, ni violence, » qui « vivent dans la paix et l’amour, » qui « pratiquent le pardon des injures et sont d’une honnêteté prodigieuse. » En effet, ces Dhimals, ces Todas, ces Arafaras, n’ont ni chefs politiques, ni organisation militaire, ce que M. Spencer est bien forcé de regarder comme une infériorité flagrante. Tout en relevant donc à l’honneur de ces sauvages les éloges que les voyages en ont faits, il n’hésite pas toutefois à les mettre au dernier degré dans l’échelle des peuples !… — Mais bientôt le moraliste en lui combat le naturaliste ; et la liberté individuelle, principe d’anarchie cependant, trouve en lui un défenseur aussi chaleureux qu’inattendu. Lui qui attachait tout à l’heure si peu d’importance à ce fait que les « monades sociales » forment un tout discret, tandis que les « monades organiques » forment un tout concret, il semble à présent sentir la portée de cette différence, non pas assez, il est vrai, pour modifier son système et relever par des considérations morales sa sociologie toute physiologique ; mais assez du moins pour laisser échapper au nom du droit individuel quelques protestations heureusement et éloquemment contradictoires. Il faut voir quelle vigoureuse peinture il nous fait des sociétés organisées principalement sur le type militaire et uniquement en vue de la déprédation (the predatory type). Combien il préfère l’organisation industrielle, dont la liberté des transactions est la loi, dont la paix est le premier besoin ! Nous trouvons très-fortes et presque courageuses, les pages où notre auteur signale avec amertume la tendance actuelle de l’Angleterre à revenir aux mœurs militaires, aux agrandissements injustes, à l’emploi de la raison d’état contre la liberté. Même, il nous semble aller un peu loin dans cette voie, et, comme c’est la tendance de l’école de Cobden, exagérer parfois, aux dépens des droits de l’Etat, le respect dû à l’initiative privée. Eh bien, encore une fois, n’est-