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avec les conséquences qui en résulteraient. Mais je n’ai pas, pour cela, le droit de conclure à la possibilité d’une hypothèse toute gratuite ; je puis simplement affirmer en revanche que son impossibilité n’est pas démontrée. Il y a loin d’une des deux thèses à l’autre.

Il ne faut pas à ce sujet que l’exemple que nous avons donné de l’être superficiel puisse entraîner à quelque illusion, qu’on vienne dire qu’il est de même possible que nous vivions dans un espace à trois dimensions qui serait comme une surface pour un espace à quatre dimensions dans lequel existeraient nécessairement dès lors, comme les surfaces géométriques dans le nôtre, d’autres espaces à trois dimensions, plans ou courbes, de toutes les manières possibles.

Cet exemple de l’être superficiel n’est qu’une fiction ingénieuse où nous avons accumulé les impossibilités ; elle ne tire nullement à conséquence, car comparaison n’est pas raison. D’ailleurs, dans cette fiction, nous avons admis la notion concrète de la ligne droite, et il faudrait d’abord prouver, ce qui n’est pas fait, qu’elle peut se concilier avec la notion logique d’un espace à quatre dimensions.

VII

Si nous venons d’insister, autant qu’il nous était possible, sur le point de vue objectif, c’est que nous allons être obligés de l’abandonner entièrement pour l’examen du travail dont il nous reste encore à parler. Il s’agit du mémoire posthume de Riemann « Sur les hypothèses qui servent de fondement à la géométrie, » mémoire où l’illustre analyste allemand a indiqué aux novateurs la route qu’ils devaient suivre.

Rappelons tout d’abord que le point de départ, pour les travaux de Gauss, de Lobatchefski, de Bolyai, était en fait absolument étranger à la philosophie ; avec Riemann, la scène change, la mathématique envahit nettement un terrain que jusqu’alors la métaphysique ne s’était guère vu disputer. Il s’agit de constituer une définition de l’espace. Cette définition sera d’ailleurs purement logique ; l’espace y apparaîtra comme une espèce très particulière de genres de plus en plus étendus, dont chacun doit être l’objet d’une théorie plus ou moins complète, et dont les autres espèces peuvent être également étudiées, sans s’inquiéter si elles répondent ou non à quelque réalité objective. L’expérience peut seule résoudre cette dernière question et déterminer parmi toutes ces espèces qui auraient subjectivement la même importance, laquelle est en fait notre espace.