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Paul Tannery.la géométrie imaginaire.

On comprend aisément qu’il est d’ailleurs essentiel pour le but proposé, de s’interdire tout appel à l’intuition et de rester exclusivement au point de vue subjectif.

Riemann constate qu’il n’a pu s’aider d’aucun travail antérieur, sauf quelques recherches de Herbart et, au point de vue mathématique, quelques brèves indications de Gauss. Son travail présente donc une originalité incontestable, et l’on y reconnaît, à chaque pas, la puissante empreinte du génie ; malheureusement on sent trop d’un autre côté que c’est un travail posthume ; le manque de certains développements obscurcit trop souvent la pensée de l’auteur. D’autre part les connaissances mathématiques que suppose sa lecture le rendent à peu près inaccessible aux philosophes, tandis que les mathématiciens y regrettent l’absence de démonstrations.

Je m’efforcerai principalement de dégager de ce mémoire la définition de l’espace, qu’on peut considérer désormais comme acquise à la science.

Le genre logique le plus étendu dont part Riemann est celui de grandeur, notion à laquelle est associée celle d’une détermination pouvant se faire suivant différents modes. Ce genre se divise en deux variétés, les grandeurs continues et les grandeurs discrètes, suivant qu’on peut passer ou non de l’un des modes de détermination à un autre d’une manière continue. Ces modes de détermination s’appelleront points dans les grandeurs continues ; éléments dans les discontinues. Pour ces dernières, qui sont de beaucoup les plus fréquentes, le principe général postulé est l’identité des éléments, et la comparaison des quanta s’effectue au moyen du dénombrement.

Les grandeurs continues se classent d’après le nombre des dimensions. Si on passe d’une manière déterminée d’un point à un autre, la variété est étendue dans un seul sens ; elle n’a qu’une dimension. Si cette variété se transporte à son tour sur une autre variété complètement distincte, et cela d’une manière déterminée, tellement que chacun de ses points se transporte en un point déterminé de l’autre variété, l’ensemble des modes de détermination ou points ainsi obtenus formera une variété de deux dimensions et ainsi de suite.

Ainsi supposons que dans la première variété, on ait noté deux points, l’un, qui servira d’origine, , l’autre quelconque  ; on transporte la variété de sorte que le point parcoure une autre variété à une dimension ; lorsqu’il sera arrivé en un point le point , sera transporté en un point qui, dans la variété à deux dimensions obtenue ainsi, sera déterminé par la connaissance de , et de . Si on transporte cette variété à deux dimensions, de façon que ,