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Il semble donc que des deux systèmes principaux sous lesquels on peut ranger les explications métaphysiques de la notion d’espace, l’un au moins, le réalisme, depuis le plus transcendantal jusqu’au plus naïf, peut maintenir sans modification ses positions en présence des travaux de la géométrie nouvelle.

Il n’en est peut-être point de même pour l’idéalisme, au moins sous sa forme subjective, telle qu’on l’entend ordinairement.

Je ne veux, au reste, nullement prétendre par là, qu’il puisse en résulter pour ce système un échec définitif, ni même un désavantage sérieux. Depuis les Éléates, l’idéalisme s’est montré suffisamment vivace, ses nombreux partisans assez habiles à tourner bien d’autres difficultés, pour qu’on doive croire qu’au contraire celle-ci ne les arrêtera pas, mais il s’agit aujourd’hui pour eux de la bien constater d’abord, non pas de la nier. Il n’y a pas à déclarer simplement que ces nouveaux travaux sont « des rêveries mystiques »[1]. Il faut changer de terrain, sacrifier résolument celui qui est perdu et qui ne sera pas d’ailleurs à regretter.

L’analyse de Riemann et les études postérieures ont montré d’une façon nette et précise que le concept de l’espace est formé par une association de diverses notions parfaitement distinctes les unes des autres, celles de grandeur, — de continuité, — de dimension, — de triplicité, — de mesure, — d’identité de l’unité de mesure suivant les diverses dimensions, — de distance, — de loi analytique relative à la distance de deux points. Il est également prouvé qu’il n’y a subjectivement rien de nécessaire dans l’association de ces notions ni dans la forme spéciale que revêt la dernière. Que les lois de notre entendement jouent leur rôle dans la constitution de ces notions, cela n’est pas douteux et la discussion peut seulement porter sur le plus ou moins d’importance de ce rôle. Mais quant à leur association, je le répète, ces lois ne paraissent nullement y contribuer ; on peut en effet la bouleverser de toutes les façons possibles, on peut y introduire certaines autres notions différentes, tout en maintenant au concept son caractère logique, qui lui permet d’être l’objet d’une science.

Rien ne reste donc dans ce concept qui soit subjectivement nécessaire, rien ; pas même l’infinitude, car l’espace sphérique de Beltrami n’est pas infini, et c’est l’expérience seule qui nous fait penser que notre espace concret n’est pas sphérique ; pas même l’universalité, car un espace fini ne peut être universel. Toute proposition sur l’espace est donc subjectivement contingente et ne diffère pas à

  1. Schmitz-Dumont. Voir Revue philosophique, janvier 1876, p. 79.