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beurier. — philosophie de m. renouvier.

de certaines périodes un peu lourdes ; mais l’exposition est généralement d’une clarté irréprochable ; elle est large et ample ; elle est parfaitement ordonnée, suivie et résumée, et elle ne manque ni de chaleur, ni d’éloquence. C’est par ces qualités de style tout autant que par l’originalité de la conception, que se distingue particulièrement la Science de la morale et aussi, quoiqu’à un degré moindre, la belle Introduction à la philosophie analytique de l’histoire qui forme le quatrième Essai de critique générale[1].


Des règles logiques et mathématiques de la méthode, nous sommes passés aux lois les plus générales du monde, lois d’harmonie universelle, qui ont leur principal fondement dans les passions, instincts ou tendances des êtres représentatifs. Au fond, en effet, tout est passion, et toute passion à son tour est fonction, c’est-à-dire corrélation, ce qui ne supprime pas les distinctions essentielles des êtres et des phénomènes : tout au contraire, on ne comprendrait pas l’harmonie sans les diversités originelles. C’est à cette concordance harmonique du divers que se ramène pour M. Renouvier la causalité, ainsi que nous l’avons montré dans l’un des précédents chapitres de cette étude. Il nous faut revenir à cette notion de causalité, pour nous élever au-dessus d’elle, si c’est possible, jusqu’à la liberté morale.

Mais n’est-ce pas impossible ? n’est-ce pas contradictoire ? D’une part, la liberté paraît être une des formes, et la plus haute, de la causalité ; d’autre part, la causalité, au dire de nombreux philosophes, se résout logiquement dans la nécessité et exclut toute idée de possibilité indéterminée et ambiguë. Il n’y a, dit-on, d’indétermination absolue qu’eu égard à l’ignorance, où nous sommes, de toutes les propriétés des choses et de tous les effets qu’elles renferment, qui en sortiront un jour ou qui en sortent aujourd’hui. Nul phénomène ne saurait devenir sans avoir une raison d’être et une raison suffisante : du moment que cette raison est donnée, étant déterminante, il faut qu’elle détermine ; ou bien, on doit nier le principe de causalité, malgré l’expérience constante qui l’affirme dans les faits, malgré la logique qui l’impose comme un indispensable fondement à l’induction scientifique. Il y aurait donc une véritable antinomie entre la causalité et la liberté, bien que celle-ci cependant ne puisse être entendue que comme une espèce de celle-là. Sur ce point.

  1. J’appelle principalement l’attention des moralistes sur la conclusion de la Morale, et sur l’introduction ainsi que sur le résumé du 4e essai. Toute la philosophie morale et sociale de M. Renouvier y est on ne peut mieux exposée.