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ne le nie et ne peut le nier. L’instinct, la passion et l’imagination se lient étroitement, par le fait d’une loi première d’harmonie, avec des phénomènes musculaires déterminés. Pour ne parler que de l’imagination, on peut énoncer la loi suivante : « Toutes les fois qu’un certain mouvement est donné pour l’imagination et prévu comme possible, ou encore qu’une certaine fin est représentée comme pouvant se trouver atteinte à la suite d’un certain mouvement, et qu’en même temps une passion plus ou moins vive, désir, crainte, ou seulement attente anxieuse et troublante, occupe la conscience (si d’ailleurs la volonté n’intervient pas aussitôt pour changer le cours des représentations), il se manifeste dans les organes une disposition à réaliser le mouvement imaginé, en tant que leur spontanéité le comporte[1] » En d’autres termes, la cause prochaine des mouvements physiologiques compris dans l’énoncé de cette loi n’est jamais que la représentation passionnelle ; cette représentation est un moyen dont se sert la volonté pour être cause éminente, lorsqu’il n’y a pas d’empêchement organique, de tous les exertions de muscles qu’on a coutume de lui rapporter directement ; son pouvoir réel consiste à suspendre ou à susciter les idées et par suite les mouvements associés aux idées. Cela est si vrai que les mêmes phénomènes d’ordre physiologique affectent aussi bien le caractère automatique et irréfléchi que le caractère volontaire[2]. La volonté se montre plutôt pour suspendre les mouvements que pour les provoquer, mais souvent aussi l’obsession due à une représentation constante, ou souvent répétée, peut dominer le pouvoir d’appeler des représentations nouvelles. De là vient que certains mouvements qui n’ont d’abord été qu’imaginés finissent par devenir inévitables.

C’est ce qu’on constate surtout dans ce que M. Renouvier appelle les faits de vertige, c’est-à-dire « dans les cas où, contre les fins naturelles de l’individu, et à son dommage, un mouvement physique, auquel une volition réfléchie serait loin de s’appliquer, se produit en suite de la représentation de ce même mouvement, dont la possibilité est imaginée avec un grand trouble passionnel[3]. » Cette observation n’est pas absolument neuve ; mais le mérite de M. Renouvier est d’en avoir fait sortir toute une théorie, d’un développement fort original, sur les rapports de la volonté et des autres fonctions représentatives. La tentation du précipice ; le rire, les larmes et le bâille-

  1. Psychologie, 383.
  2. Ibid. I, 394. « La volonté peut précéder un grand nombre de ces faits de locomotion, qui se produisent d’autres fois sans elle, et elle n’en précède aucun qui ne puisse, en certains cas, avoir lieu spontanément. »
  3. Ibid., 388.