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beurier. — philosophie de m. renouvier.

arbitre à celui de la certitude ou plutôt à les réunir l’un dans l’autre et à n’en faire qu’un. Qu’est-ce qu’être certain ? on dit généralement que c’est se rendre à l’évidence, mais le principe de l’évidence, posé par Descartes, donne prise à de nombreuses objections. Déjà Pascal disait dans ses Pensées : « Tout notre raisonnement se réduit à céder au sentiment. Mais la fantaisie est semblable et contraire au sentiment (semblable, parce qu’elle ne raisonne point ; contraire, parce qu’elle est fausse), de sorte qu’on ne peut distinguer entre ces contraires. L’un dit que mon sentiment est fantaisie ; l’autre, que sa fantaisie est sentiment. Il faudrait avoir une règle. La raison s’offre, mais elle est pliable à tout sens ; et ainsi il n’y en a point. »

Que le cœur détermine souvent nos affirmations, soit de concert avec la raison, soit contre elle, c’est ce qui n’est pas niable. Il n’est pas possible, non plus, d’éliminer complètement la liberté dans la formation des jugements. Descartes le reconnaît, puisqu’il recommande de s’abstenir de juger, tant qu’on n’est pas suffisamment éclairé. Mais l’action de la volonté n’est pas seulement suspensive, elle peut aussi évoquer des motifs de croire et créer ainsi ce qu’on appelle l’évidence (terme très-impropre, selon M. Renouvier, à moins qu’il ne s’agisse de l’intuition proprement dite, c’est-à-dire de la représentation immédiate des phénomènes). En réalité, « nous ne pouvons rien affirmer systématiquement, ni sans une représentation quelconque d’un groupe de rapports comme vraie, ni sans un attrait de quelque nature qui nous porte à nous engager ainsi dans la vérité aperçue, ni sans une détermination de la volonté qui se fixe, alors qu’il serait possible, ce semble, de suspendre le jugement, soit pour chercher de nouveaux motifs ou de nouvelles raisons, soit même en s’abandonnant simplement aux impulsions qui se présentent[1]. »

Ces trois éléments, l’intellectuel, le passionnel et le volontaire, sont distincts et se montrent plus ou moins prépondérants, chacun à son tour, dans nos diverses affirmations : cela est vrai. Ils n’en sont pas moins indissolubles. On croit généralement à des raisonnements purs, à une observation pure, à des jugements nécessaires, et nécessaires dans le sens d’une parfaite impossibilité de les frapper de doute. Si nous entendons par là qu’il y a des jugements auxquels nous cédons tous, en tant que nous sommes et vivons, et que, moralement, nous devrions encore nous y attacher, en admettant qu’un doute sérieux et durable pût nous y atteindre, on a raison de parler ainsi. Mais qu’établit-on par là, si ce n’est que l’énergie logique des

  1. Psychologie, II, 136.