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catégories, qui est une véritable forme passionnelle, nous porte à affirmer la réalité des conditions formelles du témoignage que nous nous rendons de notre existence et des lois de toute connaissance possible. Il n’y a donc pas jusqu’aux axiomes qui n’impliquent l’intervention de la passion, ou, si l’on aime mieux, de l’instinct du vrai, instinct dont la fin est « l’assiette de la conscience dans le savoir obtenu ». Ainsi nous retrouvons partout la finalité. Mais la réflexion n’est point anéantie par la force de l’instinct : même lorsqu’il s’agit des jugements réputés nécessaires, elle peut toujours élever, à la rigueur, un doute extrême et spéculatif, en quelque sorte hypothétique lui-même. Est-ce que les mathématiques n’ont pas eu leurs sceptiques ? Est-ce qu’il y a une seule vérité qui n’ait été niée par quelque philosophe ? « Il est clair que, spéculativement, une affirmation peut toujours être suspendue par la pensée d’une erreur possible. Dès lors, la certitude ne se formera plus dans une conscience que la volonté n’en ait exclu cette pensée une fois conçue. » En d’autres termes,.quand nous ne doutons plus, c’est que nous voulons ne plus douter, afin d’arrêter quelque chose, et aussi dans l’intérêt des fins de la pensée. Remarquons-le, du reste, « le signe radical de la volonté, la marque essentielle de ce développement achevé qui fait l’homme capable de spéculation sur toutes choses et l’élève à sa dignité d’être indépendant et autonome, c’est la possibilité du doute. L’ignorant doute peu, le sot encore moins, et le fou jamais[1]. »

Il s’en faut que la certitude, ramenée à la croyance individuelle, au libre choix, cesse de perdre sa valeur. « À quelques critiques que ces idées puissent être sujettes sous la forme que M. Renouvier leur a donnée, c’est, dit M. Ravaisson, une théorie qui assurément mérite considération, que celle qui établit entre la certitude et la croyance, entre la croyance et la volonté, une intime connexion[2]. » Sans doute, la certitude, ainsi entendue, n’est plus un absolu ; sans doute, elle n’est plus qu’un état et un acte de l’homme : relative à la conscience, elle est toujours contestable à ses yeux. Mais que perdon à condamner l’évidence, c’est-à-dire une nouvelle forme de la nécessité, tantôt vraie et tantôt fausse, qu’on pose tout à la fois comme invincible et comme trompeuse ? Ne vaut-il pas mieux tenir pour vrai, qu’on est d’autant plus en droit d’être certain qu’on a fait plus d’efforts pour tenir la réflexion en éveil et examiner toutes choses distinctement ? Une telle conclusion ne peut que servir les intérêts

  1. Psychologie, II, 152.
  2. Rapport sur la philosophie en France au XIXe siècle, p. 108.