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delbœuf. — léon dumont et son œuvre philosophique.

effet, la poésie était le premier des beaux-arts. Ceux-ci et au premier rang la peinture, lui plaisaient ; la philosophie ne les lui fit jamais oublier complètement. Mais il les jugeait plutôt en esthéticien qu’en artiste.

Ce point de vue domine d’une manière très-frappante dans son article sur Kaulbach et l’École réaliste en Allemagne, le seul qu’il ait donné à la Revue des Deux-Mondes (1er  avril 1865). Il cherchait à y montrer que l’opposition du beau et du sublime, si connue en poésie, se retrouvait également en peinture : théorie nouvelle, il l’apprit à ses dépens, car le directeur de la Revue des Deux-Mondes lui signifia qu’une toile né pouvait être sublime que par impropriété de langage, et pour voir paraître son article, Léon Dûment dut se résigner à nommer très-beaux les tableaux qu’il démontrait ne l’être pas du tout. Le génie de Kaulbach exerçait, du reste, une véritable attraction sur Dumont, car il y revint encore, il y a deux ans, dans la Revue politique et littéraire. En 1866, il avait publié dans la même Revue une conférence sur Antoine Watteau, le grand peintre valenciennois, dont le caractère si original et si puissant n’a jamais été aussi bien défini.

C’est encore par la porte de l’esthétique que Léon Dumont pénétra dans le domaine de la philosophie, en faisant paraître dès 1862, un petit livre sur les Causes du rire (Paris, Durand), complété l’année suivante par une brochure sur le Sentiment du gracieux (Paris, Durand). Ces deux opuscules ne témoignaient pas seulement des recherches les plus consciencieuses ; ils étaient remplis de vues fort originales, contenaient une théorie toute nouvelle du rire sur laquelle nous reviendrons plus loin et témoignaient chez leur auteur d’une faculté d’observation psychologique d’autant plus remarquable qu’elle est plus rare. Cependant, ils n’attirèrent pas toute l’attention qu’ils méritaient. Léon Dumont était encore un travailleur solitaire, et même un provincial. Or, tout le monde sait que le succès des œuvres intellectuelles dépend beaucoup du milieu où elles naissent.

C’est après la guerre, en 1872, qu’il commence à écrire dans la Revue scientifique. Son premier article sur la Civilisation considérée comme force accumulée (Juin 1872) marque le moment où il entre en pleine possession de ses idées philosophiques, je devrais dire de son système. Il cherche à y établir un lien intime entre l’idée de civilisation et les conceptions générales de la science contemporaine. C’est désormais la préoccupation qui le dominera toujours.

À partir de ce moment, il fut chargé d’analyser et de critiquer dans la Revue scientifique les grands ouvrages philosophiques publiés