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delbœuf. — léon dumont et son œuvre philosophique.

humaine tend vers une limite où il n’y aura plus d’hypothèses. Comment maintenant la somme de nos connaissances vraies va-t-elle s’accroissant ? Il y a lutte dans notre esprit entre les conceptions possibles relativement à un même fait[1] ; la sélection s’accomplit en faveur de la plus forte, c’est-à-dire de celle qui généralement s’accorde avec les perceptions ou les expériences antérieures, et, comme la logique n’est que le côté subjectif des lois naturelles, nos idées ont chance de se trouver conformes aux rapports réels existant entre les choses. L’intelligence cependant est une résultante, une conséquence de l’organisation[2] et il semblerait qu’il ne dût plus être question d’erreur ou de vérité. Une balle se trompe-t-elle quand elle n’atteint pas le but ? Cela n’empêche pas Dumont de dire autre part que les forces de l’intelligence l’emportent sur les forces inintelligentes[3]. L’intelligence est au-dessus de la volonté et est l’une de ses conditions ; de plus la volonté est un phénomène propre à l’homme et à quelques animaux supérieurs[4] ; et pourtant le mécanisme logique est identique avec le mécanisme physique[5]. Si donc nous voulions résumer par une image l’idée fondamentale de ces passages contradictoires, nous dirions que Dumont se représente les idées comme luttant les unes avec les autres, ainsi que feraient des cailloux de différentes grosseurs dans un vase agité d’une manière uniforme. Il se produira chez eux des déplacements ; les plus petits, par exemple, tomberont au fond, les plus gros viendront à la surface, et un moment arrivera où il n’y aura plus de changement dans la composition et l’agencement du contenu du vase. Telle est en petit la fin de l’univers tant physique qu’intellectuel.

Ce système est donc profondément déterministe. Dumont, du reste, quoiqu’il énonce sur la liberté un système que j’avoue ne pas bien saisir, — sans doute parce qu’il est exposé trop brièvement[6] — montre avec une grande puissance de logique ce que la notion de libre arbitre renferme de contradictoire au point de vue scientifique. C’est au fond, dit-il, une puissance capable de créer une force de rien. Mais s’il en est ainsi, que représente à notre esprit l’histoire du monde ? Le mouvement incessant des choses comporte-t-il une fin,

  1. Théorie de la sensibilité, p. 5.
  2. Revue scient., 26 juillet 1873, p. 78.
  3. Dans son article sur la Civilisation comme force accumulée, Revue scient., 22 juin 1872, p. 123.
  4. Revue scient., 30 septembre 1876 : Le transformisme, p. 316 et 319, et 14 octobre, p. 370.
  5. Ibid., p. 314, et 26 juillet 1873, p. 75.
  6. Ibid., p. 78, Théorie de la sensib., p. 13.