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delbœuf. — léon dumont et son œuvre philosophique.

nement[1] Mais d’abord que signifient ces mots perfectionnement, progrès ? Ensuite pourquoi sont-ce les êtres dits vivants qui se perfectionnent de manière à agir un jour avec finalité ? Sans doute l’œil finit par apparaître du côté de l’animal tourné habituellement vers la lumière, mais les rochers gagnent-ils des yeux ? et si l’animal agit avec finalité, c’est-à-dire si, entre les mouvements possibles déjà expérimentés par hasard, il choisit celui qui lui procure du plaisir et lui évite de la peine, c’est qu’il sait distinguer, délibérer et se décider pour le meilleur parti ? et si la sélection laisse subsister les combinaisons les plus favorables, parce que l’instinct « est une-pure complication des fonctions de nutrition ou de génération nécessaires à la conservation des individus et de l’espèce », encore faudrait-il savoir pourquoi l’individu tend à se conserver lui et son espèce, pourquoi et comment il évite la douleur et recherche le plaisir — sans quoi on tombe dans un cercle vicieux et l’on en est réduit à dire que les espèces actuelles existent parce qu’elles avaient un avantage sur les espèces antérieures, et que la preuve qu’elles avaient un avantage est dans leur survivance même.

Scientifiquement parlant, Dumont a raison contre M. Janet quand il remarque que rendre compte de la complexité par l’idée, c’est mettre la complexité dans l’idée[2] ; mais, d’un autre côté, je me refuse à voir une explication scientifique dans ce résumé qu’il donne de ses vues à cet égard : « Hartmann fait observer que dans la sélection sexuelle il y a un élément psychique. Nous ne le nions point, et c’est pour cette raison que nous distinguons la sélection sexuelle de la sélection naturelle, de même que nous en distinguons aussi la sélection artificielle. Mais quelle est la valeur de cet élément psychique ? Selon nous, c’est l’instinct qui fait rechercher les objets agréables de préférence à ceux qui ne le sont point ; et cet instinct doit lui-même son existence à la sélection naturelle, parce qu’il est utile au perfectionnement de l’espèce ; l’agréable et surtout le beau sont en effet en proportion de l’augmentation de force ou de la complication des individus[3]. » Dans un autre passage[4] il est plus explicite encore : « Il est probable, dit-il, que les animaux se sont nourris et ont su choisir leur nourriture bien avant d’être capables de vouloir se nourrir et même d’avoir l’idée de la nourriture. » Il y a à se demander ce qu’ils ont fait de plus ou de mieux quand ils ont eu et cette volonté et cette idée.

  1. Revue philosophique, p. 316.
  2. Ibid., p. 318.
  3. Ibid. p. 373.
  4. Revue philos., nov. 1876.