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contraire l’habitude, comme l’adaptation, suppose à mon avis un acte intellectuel[1].

Cette fausse idée que Dumont se faisait de la force nuit à sa théorie de la sensibilité. Le plaisir, soutient-il, vient à la suite d’une augmentation de force, et la douleur procède d’une diminution. La force de qui ou de quoi ? Et puis, d’après cette définition, il y a nécessairement deux plaisirs : celui de la force qui vient s’ajouter, et celui de la force à laquelle elle s’ajoute ; et si toutes les forces s’unissaient en une résultante unique, le monde finirait dans un acte de volupté immense, et la douleur aurait disparu pour jamais.

Tel est, ébauché dans ses lignes principales, le système métaphysique de Dumont, autant qu’il m’a été possible de le reconstituer avec des fragments isolés, incomplets et d’époques différentes. Si j’en ai fait ressortir certaines contradictions ou certaines obscurités, ce n’était nullement pour le combattre — où est, en effet, le système général de philosophie qui ne donne pas prise à des objections ? — Je tenais, avant tout, à mettre en lumière les qualités d’analyse et de synthèse de cet esprit indépendant, sérieux, original, qui cherchait encore son point fixe, et qui l’aurait peut-être trouvé un jour. Car, qu’on ne l’oublie pas, Dumont est mort à quarante ans, et si l’on en excepte sa théorie du rire, c’est à partir de 1872 qu’il a publié tous ses écrits philosophiques. Sa pensée n’avait ni atteint ni pu atteindre toute sa maturité. Si j’ai tant insisté sur ses doctrines métaphysiques, c’est que tous ses ouvrages dogmatiques et critiques en sont imprégnés et qu’elles donnent la clef de ses appréciations sur les livres de philosophie contemporaine. Dans ses derniers articles surtout, il trahit toujours plus ou moins ouvertement la tendance à n’examiner dans l’œuvre d’autrui que les points de doctrine conformes ou contraires à sa manière de voir[2].

Tous ceux qui se sont occupés de ses écrits, M. Lévêque, dans la Revue des Deux-Mondes, M. Marion, dans la Revue politique, M. Bouillier, dans la Revue philosophique, M. James Sully, dans The Mind, après avoir fait la part de ce qu’il a de contestable dans ses dogmes, rendent un hommage justement mérité à ses immenses lec-

  1. Voir Revue scientifique, mon article sur Les mathématiques et le transformisme ; Conclusion. Dans le numéro de mai de la Revue philosophique, (1877, p. 502) M. Alexander Main, à propos de ce même travail de Dumont sur L’habitude, relève avec une grande finesse d’analyse, une confusion dans les notions de cause et d’effet, étayant très-souvent la doctrine de l’automatisme qu’il caractérise ainsi « la plus grande pierre d’achoppement sur le chemin d’une philosophie complète et conséquente avec elle-même. »
  2. Revue scientifique, article sur M. Paul Janet, p. 314 ; Revue philosophique, M. Delbœuf, p. 459 ; M. Horwicz (T. II, p. 641.) lequel a même cru devoir protester (Ibid. avril 1877, p. 433).