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ANALYSES. — a. de quatrefages.l’Espèce humaine.

soit insoluble à tout jamais, notre auteur n’oserait pas l’affirmer : il rappelle seulement que « les phénomènes qui produisent sont toujours très-différents de ceux qui conservent et de ceux qui se manifestent dans l’objet produit ; » que jamais, par exemple, l’étude anatomique et physiologique des vivants adultes n’aurait rien appris sur les métamorphoses de la cellule microscopique par laquelle tous commencent également ; que n’ayant sous les yeux que des espèces toutes faites nous ne pouvons donc rien savoir de leur mode de production ; que, par conséquent, à moins qu’un hasard heureux ne nous fasse saisir à l’œuvre sur quelque point du globe la cause inconnue qui leur a donné naissance et qui sans doute n’est pas encore épuisée, — quiconque veut rester fidèle à la science sérieuse doit accepter l’existence et la succession des espèces comme un fait primordial. Il ne doute pas que toutes tentatives qu’on pourra faire d’ici là ne demeurent aussi vaines que celle qu’il expose et discute.

On connaît depuis longtemps son attitude à l’égard des « hypothèses transformistes ». Il en parle ici comme toujours avec impartialité et même sympathie ; il loue hautement les services rendus à la science par Darwin : « Je comprends, dit-il, la fascination exercée par cette conception tour à tour profonde et ingénieuse, appuyée sur un immense savoir, ennoblie par une loyale bonne foi. » Il se plaît à montrer ce que le naturaliste anglais a ajouté aux vues de Lamarck et de Geoffroy-St-Hilaire ; non-seulement il admire l’ensemble de la doctrine, mais il n’hésite pas à en accepter plusieurs points essentiels, la lutte pour l’existence, la sélection naturelle, l’adaptation au milieu, la corrélation de croissance, l’hérédité, la modification lente des instincts comme des organes. Et pourtant il se refuse énergiquement à admettre que toutes ces actions réunies rendent compte de l’origine des espèces. Bien loin qu’elles permettent selon lui d’esquisser une histoire naturelle de la création[1], il nie qu’elles suffisent même à expliquer la genèse d’une espèce quelconque par dérivation de l’espèce la plus voisine.

La théorie transformiste a, selon lui, un « défaut radical, » c’est de ne pas reconnaître que la question relève avant tout de la physiologie. Si elle a pour elle un certain nombre de grands faits se rattachant essentiellement à la morphologie des êtres, elle est « en contradiction flagrante avec les phénomènes fondamentaux de la physiologie générale. »

Darwin n’a jamais fixé nettement le sens du mot espèce ; autrement il eût vu que jamais une espèce n’en a enfanté une autre. C’est un fait

  1. Natürliche Schöpfungsgeschichte ; c’est le titre du célèbre ouvrage de Hæckel (Iéna, 1868). M. de Quatrefages juge sévèrement (page 79) les hardiesses trop peu scrupuleuses qui ont fait la réputation de ce livre. Ce n’est pas d’ailleurs le premier savant qui proteste, au nom de la méthode scientifique, contre le mépris de l’expérience qui caractérise ce transformiste allemand. Voir notamment les critiques de Ch. Elam, dans The contemporary Review (décembre 1877).