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II. Voilà le côté spéculatif de la philosophie : en voici le côté pratique.

C’est un fait remarquable que dès l’origine l’idée de sagesse a été confondue avec celle de science philosophique ; l’histoire, d’autre part, nous atteste qu’à toutes les époques, les grands philosophes, Socrate, Zenon, Kant, ont exercé une influence considérable sur l’esprit de leurs contemporains. M. Horwicz explique ainsi ce fait : le dernier terme de toute spéculation mentale est l’idée par excellence, l’idée du Bien, et, par suite, toute science, en s’efforçant de deviner la nature, se propose d’apprendre comment l’homme doit régler ses pensées et ses actions. C’est donc à une science encyclopédique qu’il convient de demander le sens de cette idée du Bien, beaucoup plus intéressante pour l’humanité que les notions de substance, de cause ou de fin. Sur ce point nous reprocherons à M. Horwicz de n’avoir pas rigoureusement délimité ce terme : le Bien. Est-ce l’ordre général, régulier, des choses connues ? En ce sens, il est vrai de dire que la science seule peut nous dévoiler de mieux en mieux cette harmonie du monde, et que la pratique, les mœurs et le bonheur de l’homme, dépendent en partie de notre accommodation à cet ordre général. Il semble que M. Horwicz entende plutôt par ce mot, un terme idéal supérieur, distinct en essence de l’universalité des choses au lieu d’en être la loi : mais alors, en quoi la connaissance exacte de la nature physique touche-t-elle la connaissance de ce terme supérieur du Bien ou sa réalisation pratique ? À notre avis, l’idée la plus claire que nous ayons du Bien est aussi celle d’ordre, d’harmonie et de justice : c’est une notion à la fois intellectuelle et morale qui exprime la convenance de certains rapports entre les personnes ou entre les choses. Quant à ce terme idéal du développement spirituel de l’homme ou de l’évolution cosmique, que l’on place au sommet de toutes les recherches spéculatives, il n’exprime que l’inconnaissable et ne peut être que l’objet de la religion individuelle. Il importe à la précision et à l’autorité des règles rationnelles de la morale de ne point confondre ainsi les éléments positifs d’une science universelle de l’homme et de l’univers avec les aspirations du sentiment et de la foi.

M. Horwicz revient du reste à cette manière de voir en admettant plus loin la séparation radicale de la raison spéculative et de la raison pratique. La science universelle n’est donc pas, selon l’opinion excessive de Socrate et de Platon, la condition antérieure indispensable d’une morale rationnelle. Descartes lui-même, que M. Horwicz a le tort de ne pas nommer dans toute cette étude, déclare que « la plus haute et la plus parfaite morale présuppose une entière connaissance des autres sciences », et cependant il se contenta toute sa vie d’une « morale provisoire » à coup sûr bien suffisante. Une connaissance plus exacte des choses ne modifierait le fonds d’idées sur lequel repose la pratique qu’à la condition de transformer elle-même notre constitution mentale. Il n’en est pas moins vrai qu’il y a entre la pratique et la théorie, des rapports réels, signalés avec raison par M. Horwicz. Une action simple n’exige point d’autres ressources qu’une faible expérience personnelle ;