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rable) en densité. — Nombre de changements sociaux sont évidemment produits par la simple croissance de la société. Une nombreuse population est à la fois une condition et un résultat de l’organisation sociale. Il est clair que l’hétérogénéité de structure n’est possible que dans un groupe nombreux d’individus ; que la division du travail, la « différentiation, » ou formation de classes distinctes, la coopération compliquée, soit industrielle soit administrative, supposent un corps social assez vaste pour fournir de nombreux agents de divers genres et de divers degrés.

Il faut encore mentionner l’influence de la société sur ses membres et réciproquement, du tout sur la partie et de la partie sur le tout. « Le contrôle exercé par le groupe entier sur les individus qui la composent, tend incessamment à mettre leurs sentiments, leurs idées et leurs actes en harmonie avec les exigences sociales ; et, réciproquement, ces sentiments, ces idées et ces actes, à mesure qu’ils changent sous l’action des circonstances, tendent à leur tour à refondre la société, à la mettre en accord avec eux-mêmes. »

Enfin les sociétés agissent et réagissent les unes sur les autres, et la marche de chaque groupe social dépend de l’influence des groupes environnants : cette influence est un autre facteur d’une extrême importance. C’est à elle, en effet, qu’est due pour moitié l’organisation sociale. Car si l’organisation industrielle d’une société est surtout déterminée par son milieu physique, son organisation gouvernementale est déterminée à peu près exclusivement par l’action des sociétés voisines, avec lesquelles elle lutte pour l’existence.

Voici maintenant un dernier groupe de facteurs dérivés, dont il est presque impossible d’exagérer l’influence : Ce sont les produits mêmes de la vie sociale (les produits super-organiques, comme dit M. Spencer), « qu’on appelle communément artificiels, mais qui, considérés philosophiquement, ne sont pas moins naturels que tous les autres produits de l’évolution. » Ils sont de plusieurs ordres. — 1° Accumulation des ressources matérielles : aux outils grossiers succèdent les machines, à l’arc le canon, aux huttes de branchages les villes, avec leurs palais et leurs cathédrales. — 2° Progrès du langage. On commence par exprimer à grand’peine les idées les plus simples ; on finit par échanger avec une extrême précision et à d’énormes distances les pensées les plus compliquées. L’imprimerie à vapeur permet à un nombre d’hommes prodigieux de mettre en commun leurs idées et leurs sentiments. — 3° Progrès des connaissances. À l’origine on compte sur ses doigts, l’on observe tout au plus les phases de la lune ; on aboutit aux mathématiques supérieures et à la théorie du système solaire. — 4° Développement religieux et juridique. On part de la simple coutume pour s’élever à de vastes systèmes de lois, et de quelques rudes superstitions pour aboutir à des théologies et cosmogonies savantes. Des codes règlent la propriété, les mœurs et toute la vie sociale. — 5° Enfin progrès esthétique. Quelle distance entre un collier d’os de poisson et