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ANALYSESh. spencer. — Principes de Sociologie.

beaucoup d’entre eux, sinon tous, ont eu des ancêtres dans un état supérieur au leur et doivent à ces ancêtres une partie de leurs croyances… Il n’est pas prouvé que le dernier degré de la sauvagerie ait toujours été aussi bas qu’il est maintenant ; il est fort possible, et même, je le crois, hautement probable, que la décadence (retrogression) ait été aussi fréquente que le progrès (progression). » — S’il en est ainsi, on se demande pourquoi M. Spencer a cru devoir énumérer si longuement, comme données premières de la sociologie, des idées et des croyances qui sont déjà en grande partie « des produits de la vie sociale, » peut-être même les marques d’une longue « dégradation ».

Ces longs développements ne sont pourtant pas un hors-d’œuvre ; ils tiennent à la sociologie proprement dite et la préparent, en menant à cette conclusion, qui résume en trois lignes l’esprit de vingt chapitres : « Tandis que la crainte des vivants est la racine du contrôle politique, la crainte des morts est la première source du contrôle religieux. » Nous aimerions mieux, quant à nous, que cette assertion, nette et hardie, eût été énoncée plus tôt, sans tant de détours, et discutée comme elle méritait de l’être. Quelque immense rôle qu’ait pu jouer la crainte soit des vivants, soit des morts, comme élément de discipline dans les sociétés naissantes, il ne nous paraît pas évident à priori qu’il ne s’y soit mêlé tout d’abord aucun sentiment plus élevé et plus doux, aucun instinct de justice et de paix. Admettons que toute religion ait commencé par le culte des mânes : mille faits que rapporte M. Spencer lui-même prouvent que ce culte n’est pas né de la seule crainte des morts sans nul mélange de respect et d’amour.

Mais ce n’est pas uniquement en vue de cette maigre et sèche conclusion que l’auteur a édifié tout un vaste système d’interprétation mythologique. S’il s’est étendu si complaisamment sur l’histoire des premières croyances, c’est pour montrer qu’en cela comme partout se retrouvent et se vérifient les lois de l’évolution. A-t-il réussi à le prouver, on en jugera en le lisant. C’est ce que nous ne voulons pas examiner, parce qu’à nos yeux, et quoi qu’il en pense, là n’est pas la véritable question. Ce qui nous importe, en effet, ce que nous avons hâte de voir se dégager de l’ouvrage, ce qui enfin nous est promis par le titre même, ce sont les lois fondamentales, les Principes propres de la sociologie. Si l’on nous dit que les Principes de la sociologie ne sont autres que ceux mêmes de révolution, il faut alors nous le faire voir au plus vite en étudiant à cette lumière non l’état mental de l’homme en société, mais l’objet propre de la sociologie, savoir « l’organisme d social comme on l’appelle.

Malheureusement M. Spencer n’a pas donné une définition assez précise de la sociologie : il n’a pas, selon nous, assez circonscrit son terrain, ni assez bien déterminé l’objet de sa recherche. Ce n’est pas assez d’avoir borné son champ d’étude aux phénomènes offerts par les sociétés humaines. Ainsi entendue, la sociologie est encore infiniment vaste, elle est même sans objet déterminé. Car enfin, quelle est l’étude qui ne fera pas partie de la sociologie, si elle embrasse les faits de