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ANALYSESbrentano. — La Civilisation et ses lois.

tendances démocratiques des sociétés modernes : nous y voyons un signe et une condition de progrès, et les craintes qu’exprime M. Funck-Brentano nous paraissent venir d’une considération trop exclusive des républiques de l’antiquité, qui, fondées sur l’esclavage et renfermées dans l’enceinte étroite d’une seule cité, furent moins des démocraties que de jalouses et tyranniques oligarchies.

Dans le deuxième livre, l’auteur essaie de déterminer les lois de la formation, du progrès et de la décadence des croyances religieuses et des sciences dans les différentes civilisations. Il montre comment naissent chez les sauvages le culte des fétiches et la notion de la vie future. Le développement de la science suit pas à pas celui de la religion. Bientôt un choix s’opère parmi les fétiches de l’époque primitive : de là le polythéisme de l’Égypte, les deux principes du Mazdéisme, les dieux à formes multiples de l’Assyrie et de Babylone. En même temps, une conception plus large et plus exacte de l’ensemble des choses, une vue plus nette des rapports qui unissent entre eux les phénomènes naturels conduisent l’esprit humain à l’idée d’un Dieu suprême et unique ; mais le fétichisme des premiers âges tend toujours à reparaître et à supplanter un monothéisme encore incertain et grossièrement naturaliste. — Toute cette exposition est des plus intéressantes, et, autant qu’on en peut juger en ces obscures matières, la théorie de M. Funck-Brentano est fort plausible. Qu’il nous permette cependant de lui rappeler l’ingénieuse hypothèse émise par M. Spencer[1] sur l’origine du culte des animaux et des divinités à formes complexes et monstrueuses : elle jette un jour assez nouveau sur les religions primitives et conduirait à une théorie sensiblement différente de la sienne. — Nous demanderons également s’il est bien exact de dire que le Dieu des Juifs, « comme tous les dieux de cette époque, se confond avec les phénomènes de la nature. »

Nous voudrions pouvoir suivre M. Funck-Brentano dans ses aperçus toujours ingénieux, souvent remarquables, sur l’origine de l’anthropomorphisme grec et romain, le développement et la décadence des sciences dans l’antiquité classique. Le jugement qu’il porte sur le mouvement philosophique des Grecs est original et mériterait une discussion approfondie. Il est loin de partager le dédain du xviiie siècle et de quelques contemporains pour la scolastique ; en revanche, il est sévère pour la Réforme et quelques-uns trouveront qu’il va trop loin en l’accusant d’avoir été une pure négation. Les progrès scientifiques des deux derniers siècles et du commencement de celui-ci sont résumés en quelques traits fermes et nets ; l’auteur arrive enfin à notre époque et l’appréciation qu’il en fait est loin d’être flatteuse. Notre science lui paraît en train de devenir une pure sophistique et de se corrompre dans l’idolâtrie de quelques formules mal démontrées, d’entités creuses et

  1. Et avant lui par M. Moreau de Jonnès, dans son Ethnogénie caucasienne (Paris, Cherbuliez, 1861).