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ANALYSESgrant allen. — Physiological Aesthetics.

que leur choc ébranle quand il est violent, mais sont recueillies plus spécialement par un organe adapté au discernement de leurs plus légères différences, ainsi, les vibrations lumineuses se rattachent aux vibrations caloriques, avec lesquelles les plus lentes, celles qui occupent la place inférieure dans le spectre, ont une évidente affinité. Les perceptions visuelles ne sont donc qu’une spécialisation de la sensibilité générale de l’organisme, et il n’est pas trop étonnant qu’elles soient soumises à la même loi, en ce qui concerne les plaisirs et les peines qui les accompagnent.

Les couleurs simples, puis les combinaisons de couleurs sont étudiées successivement, dans l’ordre où l’ont été les sons isolés et les sons combinés. De l’examen des couleurs simples il résulte que notre organe s’est adapté au milieu visible en sorte que les fibres de chaque sorte (nous passons sous silence la description des organes) furent proportionnées en nombre à la fréquence des sensations correspondantes. Ce sont les couleurs les plus rares dans la nature qui nous communiquent l’excitation la plus vive. La vue du vert repose, celle du rouge et du jaune fatigue rapidement, surtout quand ces couleurs sont intenses, et s’étendent sur de grandes surfaces. Mais en petite quantité, elles plaisent davantage par la même raison : on sait le goût qu’ont les enfants et les sauvages pour les fleurs, les coquilles brillamment colorées, pour les étoffes voyantes. Le noir, surtout le noir sans reflets, impose à l’organe de la vision une sorte d’immobilité et d’inaction, tous les rayons colorés étant absorbés par lui : aussi est-il morne et convient-il au deuil. L’effet des surfaces polies est agréable ; c’est pourquoi l’on mêle souvent aux vêtements noirs des ornements d’or et d’argent qui les relèvent : l’ensemble, en raison du contraste, est un excitant qui pique la curiosité, comme un mets lourd hautement assaisonné réveille le palais. Une robe noire fait trou et s’impose à l’attention dans une réunion d’éclatantes toilettes.

La proportion des couleurs qui s’offrent à nous dans le champ visuel est donc par elle-même la cause de certaines émotions esthétiques, en raison de la valeur propre de chaque sensation élémentaire. Leur combinaison produit des effets d’harmonie ou de dissonance comme les combinaisons de sons. Quand une partie de la rétine a été occupée par une sensation de couleur déterminée, toutes les fibres de la région correspondant à cette couleur sont épuisées. Le reste de la rétine demeurant excitable comme auparavant, il se produit une image négative qui a pour limites les contours de l’objet à l’occasion duquel cette fatigue s’est produite. Mais dans ce champ même, les fibres de la couleur complémentaire étant encore pour ainsi dire toutes fraîches, les seuls rayons lumineux perçus seront de cette couleur (p. 163) ; et la tache neutre en paraîtra teinte quoique plus faiblement. Quand la fatigue qui cause ce phénomène est clairement connue, le phénomène n’est pas esthétique ; il le devient quand elle est inconsciente. C’est ce qui arrive quand nous parcourons de regards rapides et successifs un tableau ou une décoration. « S’il se présente à un endroit une tache rouge, la por-