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REVUE PHILOSOPHIQUE

séparent deux sensations qui sont en opposition relative et non absolue. Je suis dans un bain trop chaud, et je le juge tel — ce qui a lieu quand je n’y suis pas encore habitué ; — on vient à y ajouter de l’eau froide ; bien qu’il soit encore trop chaud, j’éprouverai sur-le-champ une sensation fugitive de refroidissement. Si sur un fond clair et avec une vitesse convenable on fait tourner devant vos yeux une roue à rayons noirs, vous aurez alternativement des impressions fugitives d’assombrissement et d’illumination, ou, si j’ose forger un mot, de clarescence. Les vacillations d’une bougie produisent des effets tout semblables. Le cheval de fiacre éprouve une sensation de surcharge quand les voyageurs montent en voiture, d’allégement quand ils en descendent. Le temps d’arrêt dont il est ici question est tout à fait comparable à celui du pendule arrivant au bout de l’arc qu’il décrit.

Dans l’état d’équilibre dynamique, l’opposition entre le négatif et le positif n’a aucun caractère absolu. Les sensations fugitives d’un refroidissement ou d’un échauffement n’impliquent nullement que le sujet ressent effectivement le froid ou le chaud ; celles d’un objet qui s’obscurcit ou qui s’éclaire ne peuvent être confondues avec celles du sombre ou du lumineux ; celles qui résultent de la croissance ou de la décroissance dans l’intensité d’un bruit continu sont différentes de celles que font éprouver les bruits forts ou les bruits faibles. Mais, quand le corps est dans l’état d’équilibre statique ou naturel, il n’en est plus ainsi. Les termes de positif et de négatif prennent une signification absolue. Suis-je accommodé à la température d’un bain, toute augmentation de la température de l’eau me fait avoir chaud, toute diminution me fait avoir froid. Suis-je fait à une lumière donnée, j’éprouve une sensation d’éblouissement dès qu’elle grandit ; si elle s’affaiblit, il m’arrive une sensation à laquelle, faute d’un meilleur mot, j’ai donné le nom d’offusquement. Dans un voyage en chemin de fer, je m’habitue plus ou moins au roulement. Si le bruit s’accentue, si deux trains se croisent, l’impression que je reçois, c’est de l’assourdissement. Le convoi se met-il au contraire à ralentir, il se passe en moi un effet de calme et d’apaisement.

Ici, le point neutre correspond au ni chaud ni froid, ni clair ni obscur, ni bruyant ni sourd, en un mot, au ni moins ni plus ; ce point neutre, en d’autres termes, correspond au zéro statique de la sensibilité. Vous pouvez être fait à une température donnée à un tel point qu’elle ne vous procure plus ni chaud ni froid ; vous arrivez à ne plus être distrait par les odeurs, les bruits au milieu desquels vous vivez ; le mineur qui extrait le charbon à la pâle lueur d’une lampe fumeuse, trouve suffisante la clarté qu’elle répand ; l’Africain