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regnaud. — études de philosophie indienne.

fiable qui leur est assigné dans l’univers résulte de leurs œuvres particulières, sorte de semence à laquelle elles devront le sort qui les attend dans une existence postérieure[1]. Les adversaires des védântins répliquaient, avec assez de logique, que ce sont des choses que Brahma aurait dû prévoir avant la création ; mais c’est alors qu’on faisait valoir l’argument si défectueux de l’éternité du cercle de la transmigration. Ce cercle n’ayant point eu de commencement, les desseins de Brahma en ce qui concerne la destinée des créatures n’ont pu le devancer, et les effets de l’œuvre ont échappé de tout temps à la puissance du créateur[2].

Certains Sûtras sont spécialement consacrés à constater le rôle créateur de Brahma en ce qui concerne chaque élément en particulier et à indiquer les grands traits de cosmogonie védântique. Ainsi, l’éther est issu de Brahma et ne saurait exister de toute éternité, comme quelques-uns le prétendent. D’abord le texte des Upanishads établit positivement le contraire ; ensuite tous les objets créés (ou provenant d’une modification), tels que les pots, les cruches, les vases, etc., ou bien tels que les anneaux, les bracelets, les colliers, etc., ou bien encore tels que les aiguilles, les flèches, les épées, etc., ont pour caractère général d’être distincts les uns des autres. Or l’éther, étant distinct de la terre et des autres éléments, fait partie par cela même des choses créées, c’est-à-dire modifiées[3].

L’air est dans le même cas ; c’est une modification directe de Brahma[4].

Ici, l’auteur des Sûtras suppose l’objection suivante : l’éther et l’air sont des modifications secondaires issues d’une modification supérieure, qui est Brahma ; Brahma n’est donc pas le principe suprême. La réponse des védântins est celle-ci : Brahma est l’Être même (sanmâtram), et rien ne saurait précéder l’être. Il ne pourrait, du reste, provenir d’une espèce particulière d’êtres, car le général ne saurait provenir du particulier : les pots, par exemple, qui sont l’espèce, proviennent de la terre, qui est le genre ; mais le contraire n’a pas lieu. Enfin Brahma ne peut avoir été produit par le non-être, qui n’a pas d’existence réelle[5].

Le feu, au témoignage des Upanishads, tire son origine, non pas directement de Brahma, mais de Brahma déjà modifié sous la forme de l’air[6].

  1. Çankara. Comm. sur les Brahma-Sutras, II, 1, 34.
  2. id., ibid., II, 1, 35.
  3. id., ibid., II, 3, 7.
  4. id., ibid., II, 3, 8.
  5. ''id., ibid., II, 3, 9.
  6. id., ibid., II, 3, 10.