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variétés. — un théologien philosophe

deux esprits. Les effets de ses nouvelles lectures furent prompts et décisifs. « Presque sans m’en douter, dit-il, je me trouvai transporté sur un terrain intellectuel tout nouveau, du haut duquel le miraculeux pays de la clairvoyance, de la magie et de la sympathie devait me paraître comme renversé sens dessus dessous. » Un article de journal sur un ouvrage de Kerner (1830) fut, en même temps que le coup d’essai de Strauss dans la littérature, l’irrécusable témoignage de sa métamorphose.

Cependant Strauss venait de terminer ses études par un brillant examen de doctorat. Après la préparation théorique, il lui restait à faire l’apprentissage pratique de son ministère. Nous le voyons d’abord vicaire à Kleiningersheim (1830), puis professeur de latin, d’histoire et d’hébreu au séminaire de Maulbronn (1831). Il se rend ensuite à Berlin pour lier connaissance, autrement que par la lecture de leurs ouvrages, avec ses deux philosophes favoris. Il faisait une visite à Schleiermacher lorsqu’on lui apprit la mort de Hegel, soudainement enlevé par le choléra. Il s’écria : « Mais c’était pour le voir que j’étais venu ici ! » Il paraît que Schleiermacher fronça un peu le sourcil. En tout cas, l’assiduité avec laquelle Strauss suivit ses cours dut lui faire oublier cette étourderie juvénile. Le séjour de six mois que fit Strauss à Berlin lui fut très-profitable. Bien que Hegel fût mort, il s’initia plus profondément à sa doctrine par la fréquentation de quelques-uns de ses meilleurs disciples, entre autres Vatke. De plus, l’enseignement de Schleiermacher contribua singulièrement à enrichir les connaissances et à élargir les vues du jeune théologien. C’est le propre des esprits d’élite de ne pas perdre leur originalité au contact de celle d’autrui ; loin de se laisser absorber, elle s’exalte par la comparaison et se pose en s’opposant.

Strauss retourna à Tubingue avec le grade de répétiteur (Repetent). Il y professa la philosophie, et, pendant la courte durée de son enseignement, il releva le niveau des études philosophiques, jusqu’alors négligées dans cette Université. Il avait adopté les doctrines hégéliennes avec autant d’ardeur que naguère les rêveries du mysticisme ; il sut leur prêter un nouvel éclat par son rare talent d’exposition. Cependant il n’avait pas reçu en don l’éloquence, pareil en cela à la plupart de ses compatriotes de la Souabe ; comme tous les professeurs allemands de cette époque, il lisait son cours.

Une leçon de Schleiermacher sur la vie de Jésus avait inspiré au jeune docteur l’idée de traiter à son tour ce magnifique sujet, en appliquant largement le système de Hegel à l’interprétation des récits évangéliques. Pour n’être pas distrait dans l’élaboration de son grand ouvrage, Strauss demanda un congé et se mit à l’œuvre avec