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variétés. — un théologien philosophe

telle élévation de vues et de caractère. Dépouillé, par suite des intrigues de ses adversaires, de sa chaire de Tubingue, Strauss fut relégué comme professeur au Lycée de sa ville natale, Ludwigsburg (1835). Là encore, les tracas ne lui furent pas épargnés ; il eut à subir de bien tristes scènes au sein de sa famille alarmée, elle aussi, dans son orthodoxie. De guerre lasse, il se démit de ses nouvelles fonctions, et, « comme le sanglier relancé dans sa bauge », il se retourna contre ses ennemis, fit face à leurs attaques. Cette fois, l’indignation fit son génie ; les trois pamphlets qu’il dirigea contre ses adversaires de tous camps, supra-naturalistes, pédants ignorants et fanatiques, hégéliens attardés, s’ils ne brillèrent pas toujours par la courtoisie de la polémique, étincelaient d’une verve qui rappelait les fameux écrits de Lessing contre le pasteur Gœtze et les surpassaient par la profondeur du savoir et l’ardeur des convictions.

Cependant, pour robustes qu’elles soient, les convictions ont leurs moments de défaillance. Strauss l’éprouva bientôt. La troisième édition de la Vie de Jésus et ses Entretiens sur la partie éphémère et la partie durable du christianisme, faisant partie des Feuilles pacifiques (1839), parurent, ou peu s’en faut, un désaveu de ses premières opinions. Strauss, pour employer une expression vulgaire, tendait la perche à ses adversaires : avouant que l’idée religieuse avait atteint dans la personne du Christ sa plus haute et plus pure expression, il proclamait que cette personnalité était désormais inséparable de toute conception religieuse. Strauss nous explique fort bien (Souvenirs littéraires, p. 13) le sentiment qui lui dicta alors des concessions aussi étendues. « La crainte de me voir si complètement isolé, écrit-il, avait pénétré tout mon être ; l’excitation maladive de mon esprit se trahit par l’accent fébrile (fieberhaften Pulsschlag) de ces Entretiens. »

D’ailleurs ces avances furent inutiles et ne ramenèrent pas à l’auteur la partie du public qui lui était décidément hostile. Quant aux savants, il avait rompu définitivement avec eux en retirant dans la quatrième édition de son ouvrage la plupart des concessions qu’il leur avait faites dans la troisième. Dès lors, il ne faut pas s’étonner du scandale que causa dans le clergé et le monde dévot sa nomination à la chaire de théologie à l’Université de Zurich (1839). Ses ennemis provoquèrent une agitation toute factice dans le peuple du canton ; on entreprit une vaste campagne de pétitionnement contre lui. Le gouvernement de Zurich fut effrayé ; Strauss, de sa nature ennemi du tapage, préféra renoncer à sa place[1]. Cette réso-

  1. Le gouvernement de Zurich poussa la générosité jusqu’à lui offrir un traitement honoraire de mille francs par an.