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sens, il faut admettre que la puissance créatrice a une tendance à former des organes, qui rendent la nature visible à elle-même. C’est toujours le même effort pour marcher de progrès en progrès vers la conscience, pour faire de l’être objectif un être individuel, pour rendre la réalité intelligible à elle-même. L’âme universelle n’est pas satisfaite quand elle a disposé des belles formes aux lignes harmonieuses, quand vibre le son, quand étincelle la lumière ; à quoi bon toute cette beauté, si elle ne crée pas les sens, la vue, l’ouïe, l’odorat, pour contempler l’œuvre accomplie ; si elle ne s’arrête pas un instant pour jouir de son art ; si elle ne place pas en face de la réalité ces miroirs vivants, qui se voient eux-mêmes et dans lesquels se réfléchissent les splendeurs de la nature visible ? Qu’est-ce donc que la perception extérieure ? C’est la nature devenant en quelque sorte subjective, se faisant conscience pour s’apercevoir dans sa réalité et dans ses phénomènes. Quand nous voyons, c’est la lumière qui se voit ; quand nous entendons, c’est le son qui s’entend. « Les sens appartiennent à la nature, viennent de la nature ; c’est la nature dans son immanence qui voit, qui entend et qui, à la fois, est vue et entendue. » La valeur absolue de la perception extérieure est la conclusion nécessaire de cette théorie. Ce n’est pas seulement l’apparence, c’est la réalité même que nous percevons. Les sens nous révèlent l’être dans son essence. D’abord l’imagination objective est présente en eux, puisqu’ils sont sa création ; en second lieu, elle les a formés d’éléments matériels, de muscles et de nerfs, en pénétrant la matière, en se soumettant aux lois physico-chimiques, ou plutôt en appliquant ces lois à ses fins. Les sens peuvent donc nous révéler « ce qui est, puisque leur essence et la loi de leur activité sont c en étroit rapport avec l’essence et avec la loi des choses. » — Cette argumentation nous parait peu convaincante. Nous comprenons qu’une puissance comme l’imagination devienne subjective et consciente d’elle-même : il y a développement, il n’y a pas métamorphose ; nous comprenons aussi que les sens, étant créés par l’imagination objective, puissent percevoir ce que celle-ci a mis d’elle-même dans les choses ; mais que la matière, que cette prétendue réalité, dont le seul caractère définissable serait l’opposition à l’esprit, puisse être connue dans son essence, voilà ce qui n’est nullement expliqué par ce fait que les nerfs et les organes des sens sont de la matière et sont soumis aux lois de la matière. En percevant, un sens n’a pas conscience de lui-même, de son essence ni de ses lois.

C’est surtout pour expliquer, l’instinct et ses merveilleux effets qu’il est nécessaire d’invoquer l’âme universelle. C’est elle qui agit dans l’animal, qui le dirige vers ses fins, qui le conduit vers les objets nécessaires à sa conservation, qui lui fait accomplir avec une précision infaillible les actes les plus compliqués. Il semble que l’idée organique se saisisse elle-même dans ses rapports avec les objets extérieurs, et qu’elle donne à l’être vivant une impulsion conforme à cette immédiate intuition. L’animal est une sorte de somnambule, dont tous les mouve-