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REVUE PHILOSOPHIQUE

On voit que l’ouvrage que nous étudions renferme une description fort intéressante de la méthode cartésienne, mais M. Mouchot n’est pas proprement un historien, un érudit, c’est un savant. Il procède pour Descartes comme M. Chasles l’a fait avec tant de bonheur pour les mathématiciens grecs ; il l’étudie non pour éclairer un point d’histoire mais pour y découvrir l’origine de recherches nouvelles. Après avoir montré (p. 27) que « la réforme cartésienne tendait surtout à ne voir dans les formules algébriques que l’écriture d’opérations effectives sur les droites », il suit les développements de cette réforme avec toutes les ressources que deux siècles de spéculations mathématiques ont accumulées depuis Descartes. Il reprend les principes de l’algèbre ; il montre qu’une foule de points délicats et épineux, les règles des signes, l’interprétation des quantités négatives, la généralisation des règles des exposants au cas des exposants négatifs ou fractionnaires, l’étude des imaginaires s’éclairent par cette méthode, d’une façon singulière. Il va plus loin ; il essaie de prouver que les théories les plus ingénieuses de la géométrie supérieure rentrent naturellement dans le système cartésien pris au sens le plus rigoureux. C’est aux mathématiciens seuls, je le répète, qu’il appartient de prononcer sur des questions aussi difficiles. Pour nous, nous devons conclure en déclarant que l’étude du travail de M. Mouchot est indispensable à tous ceux qui veulent se former une idée exacte et précise de la méthode de Descartes.

T. V. Charpentier.

Georges Gaumont. — Jugement d’un mourant sur la vie. Paris, Sandoz et Fischbacher, 1876.

Il n’est pas du premier venu ce livre étrange, médité dans la solitude, inspiré par la maladie, interrompu par la mort, offert par un ami comme souvenir posthume à ceux qui ont connu l’auteur. C’est un recueil de pensées. Le Pascal de vingt-cinq ans qui l’a composé est un incrédule ; ce n’est pas pour obéir au cri d’une conscience troublée qu’il a fui ses amis et le monde, c’est par ordonnance du médecin : il n’écrit pas pour nous instruire ou nous édifier, mais pour exhaler ses plaintes ; il n’a pas toujours souci de nous découvrir l’homme, mais trop souvent, et jusque dans le récit de son agonie morale, il laisse paraître l’auteur. Cependant il a le gémissement si amer et si poignant, et dans le tumulte de la vaste « cité dolente » il pousse si haut sa clameur, qu’on le distingue de la foule, et qu’on s’arrête malgré soi devant ce sombre héraut de la misère humaine.

Au reste ce jeune homme n’est pas grand philosophe. Achevant à peine de lire ses classiques, il n’a pas eu le temps de le devenir, et il est à croire, eût-il vécu, qu’il ne l’aurait jamais été. Il avait l’imagination trop vive, trop de penchant à se plaire et à s’attarder aux effets du