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Deux-Mondes allait être discuté par M. Ch. Richet dans la Revue philosophique, je me suis souvenu d’avoir lu dans cette même Revue des Deux-Mondes, sous la signature de M. Ch. Richet, des vues psychologiques fort justes sur le sommeil, une théorie purement psychologique de l’amnésie chloroformique, contestable, mais ingénieuse, des pages de tout point excellentes, et purement psychologiques elles aussi, sur l’apparence de la durée, à propos de l’ivresse du hachich. Je m’attendais donc, de la part d’un esprit qui s’était montré aussi ouvert aux questions psychologiques, à une discussion consciencieuse et serrée, non pas des principes incontestables et incontestés auxquels je m’étais rallié, mais des déductions que j’en avais tirées. J’étais loin de supposer qu’il écarterait les principes par la question préalable, comme entachés d’esprit logique, qu’il négligerait mes déductions et mes conclusions, qu’il laisserait de côté, lui physiologiste, la partie de mon travail qui traite le plus spécialement de la physiologie, qu’il parlerait de l’expérience à la façon des positivistes purs, comme si l’expérience interne était une chimère, et surtout que sa critique consisterait presque uniquement à m’accuser d’avoir dit ce que je n’ai pas dit et de n’avoir pas dit ce que j’ai dit. Il paraît que je m’étais fait des illusions. En présence d’une discussion aussi superficielle, je suis presque confus d’avoir occupé si longtemps vos lecteurs d’une justification qui devait peut-être être plus concise.

Veuillez agréer, mon cher Directeur, l’assurance de mes sentiments affectueux et dévoués.

Victor Egger.

Réplique de M. Richet.


Je ne répondrai qu’en peu de mots à ces observations : car une discussion trop longue est fastidieuse, surtout si elle affecte la forme de personnalité. Laissons donc de côté tout ce qu’on peut critiquer dans les expressions de M. V. Egger ou dans les miennes, afin d’arriver à cette question fondamentale, urgente, pour ainsi dire, qui est la question de la méthode.

Si nous examinons sans parti pris l’histoire des sciences, nous voyons que les grands progrès des connaissances modernes sont dus exclusivement à ceci : c’est que la méthode à priori a été abandonnée et qu’on a eu recours à la méthode expérimentale. Cela est vrai pour la chimie, qui se traînait dans les élucubrations de Paracelse et de Van Helmont, pour la physique, que Galilée, Pascal et Newton ont fait, dédaignant les raisonnements de l’école, jaillir d’un petit nombre d’expériences bien conduites. Cela est vrai pour la physiologie, qui n’est sortie du chaos qu’avec Harvey. Si, au lieu de regarder simplement les phénomènes naturels, Harvey avait fait des raisonnements dont Aristote lui eût fourni les prémisses, aurait-il pu prouver que le