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L’impatience de connaître est vraiment bien grande aujourd’hui. Les uns sautent sur le Pégase de leur fantaisie et prennent chaque jour les constructions symétriques de leur pensée pour des faits réels et pour des lois gouvernant ces faits. Les autres, dans le laboratoire physiologique, entre un chien et un lapin, se persuadent trop vite qu’ils vont conjurer les terribles sphinx qui ont élu domicile sur les hautes cimes de l’esprit humain.

Entre l’homme d’imagination qui se livre à ses divinations hardies et le physiologiste qui tente de faire avec des galvanomètres la physique de la pensée, il y a une mission plus modeste pour la psychologie expérimentale : c’est d’observer des faits et de les coordonner. Balayer les nuages de l’ontologisme, signaler les synonymies, s’ouvrir la route entre les buissons des logomachies, c’est déjà une entreprise difficile, qui suffirait à l’honneur, je ne dis pas d’un philosophe, mais de toute une école, de toute une génération de penseurs. C’est à cette haute mission que travaillent les grands psychologues anglais, français et allemands que tous connaissent, et nous voyons parmi nous concourir avec une noble émulation à leurs efforts Tito Vignoli par un bel Essai de psychologie comparée sur l’intelligence dans le règne animal, le jeune Riccardi par ses études soigneuses sur la psychologie de l’attention, Herzen par ses recherches sur le Libre arbitre, et d’autres encore.

Observer et ordonner sont deux mots modestes, mais qui, transportés dans le monde des faits psychologiques, représentent toute une révolution. Observer est en tout sujet une chose très-difficile ; mais, pour le psychologue, c’est vraiment une entreprise de géants. Le naturaliste, le physicien, le chimiste isolent leur objet, le mettent sur une table, le regardent sous toutes les faces, et, si leurs sens ne suffisent pas, ont à leur disposition des lentilles, des compas, des balances, des réactifs, tout un arsenal d’instruments pour mesurer, peser, diviser et éprouver chaque partie de cet objet ; mais le psychologue surprend à peine un geste, un sourire, une émotion, phénomènes liés à une longue chaîne d’autres faits qui se produisent avant, pendant et après le fait observé. La même contraction musculaire peut exprimer bien des choses différentes, et la même émotion peut s’exprimer de bien des façons différentes, et puis quelle rapidité d’actions et de réactions, quelle intrication d’éléments, quelle superposition de faits !

Dès la première apparition d’un phénomène moral ou intellectuel, les causes probables d’erreur surgissent aussi nombreuses que les grains de sable au bord de la mer, ce fait fût-il le plus simple de ceux qui se produisent dans les territoires cérébraux. Nous surpre-