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mantegazza. — transformation des forges psychiques

les centres les plus forts, les plus exercés et les plus excitables, sont plus communes dans la vue, très-rares dans le toucher ; toujours périlleuses au bon fonctionnement de la machine cérébrale. Ce sont des transformations périlleuses qui semblent disloquer les plus solides étais de la pensée : il suffit de se rappeler les hallucinations des poètes très-exaltés et celles des hommes qui sont sous l’influence des narcotiques.


VI. — Une des plus claires et des plus éloquentes transformations des forces psychiques se manifeste à nous dans le changement d’un sentiment en un autre. Ici, les plus sceptiques d’entre nos contradicteurs sont forcés eux-mêmes de reconnaître l’évidence de la transformation ; ici, le travail produit est identique à la force dépensée ; ici apparaît dans toute sa lumière la grande théorie de l’unité de l’énergie. Deux billes de billard lancées avec une force égale l’une contre l’autre s’arrêtent immobiles, et le mouvement qui les animait se change en chaleur. Si, au lieu de deux billes d’ivoire, c’eût été deux astres qui se fussent choqués, et qu’ils se fussent mus avec une rapidité infinie, la transformation du mouvement en chaleur eût été capable de réduire en vapeur les deux mondes. Le même phénomène se réalise dans la transformation psychique de l’amour en haine, et plus vives étaient les forces qui se sont heurtées dans ce contraste, plus les effets sont grands. Une femme qui nous était à peine sympathique nous trahit, et la petite sympathie se convertit en indifférence, véritable inertie du cœur ; une femme adorée nous trahit, et l’amour se transforme en une haine capable de nous conduire au suicide, à l’homicide, aux écueils où nous brisent les grandes tempêtes du cœur. Si le choc avait été trop violent, la mort du cerveau aurait même pu se produire. Un immense amour soudainement détruit ne peut que se changer en une immense haine ou en un mépris olympique ; tandis que si l’amour, comme le fer rongé par la rouille, s’en va peu à peu sous de persévérantes atteintes, la transformation des forces se fait si lentement que l’on est conduit à l’indifférence presque sans s’en apercevoir. C’est toujours le cas des deux billes d’ivoire et des deux astres ; c’est toujours et toujours l’application de la physique à la psychologie, c’est-à-dire pas autre chose que la physique des centres nerveux.

La transformation de la haine en amour se rencontre plus rarement ; elle se rencontre cependant : par exemple, quand une personne antipathique nous rend un grand service ou qu’il nous arrive de faire du bien à un homme exécré, et ainsi de suite. On voit d’autres transformations de la force centrifuge dans le passage de