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Même hors du territoire de la volonté, quand une idée étend ses énergies jusque dans les régions du sentiment, des sensations proprement dites peuvent véritablement s’éveiller. L’idée de perdre un fils adoré peut nous donner une véritable sensation de douleur au cœur ou un sentiment de constriction à l’œsophage ou à l’épigastre. Raconte-t-on devant nous avec un cynisme effronté une scène repoussante, nous sommes pria de véritable nausée. Un livre nous émeut-il, une partie de nos idées se change en douleur. Pour que ces faits se produisent cependant, il faut que le centre nerveux soit toujours dans un état de grande excitation ; et, si cette excitation est très-forte, l’équilibre peut être complètement rompu entre l’idée et la sensation, et à une idée fugitive peut répondre une sensation formidable. C’est ce que vous voyez tous les jours dans l’hypocondriaque, dans l’halluciné, dans le fou. Les sensations fausses, dans ces cas, sont plus intenses que les vraies, et, s’emparant de nous, elles jettent le trouble jusque dans nos jugements. L’hypocondriaque, à chaque maladie qu’il voit en autrui, croit en être atteint lui-même ; il en éprouve les douleurs et jure que ces douleurs sont réelles. L’homme pris de la manie de persécution voit dans chacun de ses voisins un ennemi, et l’idée dominante se transforme en des sensations variées qui prennent le nom d’hallucinations.

Presque tous les faits de transformation d’idées en sensations appartiennent à la pathologie du cerveau, et, quand ils se produisent, il doit y avoir presque toujours altération simultanée des nerfs périphériques et du centre nerveux ; je dirais presque que, pour que le fait soit pathologique, il faut toujours que ces deux éléments se trouvent dans des conditions anormales. Tant que l’un ou l’autre reste dans un état physiologique, l’erreur est très-difficile. Que l’idée seule d’une belle femme réveille en nous les sensations de l’excitation amoureuse, c’est un fait naturel, quoique rare, soit qu’il provienne d’une surexcitation des organes périphériques, ou des centres nerveux ; mais si un organe sain nous donne des sensations douloureuses, seulement parce que le cerveau est surexcité par la peur de la mort, le fait est essentiellement pathologique.


XI. — Dans cette excursion rapide, nous avons vu neuf diverses formes de transformations psychiques dans lesquelles les phénomènes de sensation, de sentiment et de pensée passaient les uns dans les autres, passages où une quantité donnée de mouvement initial semblait en apparence se redoubler et se multiplier à l’infini, tandis qu’en réalité les effets obtenus étaient toujours égaux à la force employée. Le cerveau est peut-être la machine dans laquelle la force se trans-