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qui disait un mensonge de nature à porter préjudice à autrui avait une partie de la lèvre coupée et quelquefois perdait les oreilles. » Au Honduras, on confisquait les biens du voleur, « et, si le vol avait été considérable, on lui coupait les oreilles et les mains. » Une loi d’un ancien peuple voisin, les Mistèques, prescrivait de « couper les oreilles, le nez et les lèvres de l’adultère ; » et, chez les Japotèques, « on coupait les oreilles et le nez aux femmes convaincues d’adultère. »

Il semble, il est vrai, que la perte des oreilles ait été plus généralement une marque réservée au criminel qu’elle n’a servi de marque au vaincu qui, survivant à la mutilation de ses oreilles dont le vainqueur a fait un trophée, a été réduit en esclavage ; mais nous pouvons croire qu’elle a été, chez certains peuples, la marque du prisonnier fait esclave, et que, par un adoucissement, elle a donné lieu à la méthode de marquer l’esclave, prescrite jadis chez les Hébreux et qui subsiste encore en Orient avec quelque modification dans la signification. Nous lisons dans l’Exode (xxi, 5, 6) que si, après six ans de service, un esclave acheté ne désire pas recouvrer sa liberté, « son maître le fera approcher de la porte ou du poteau, et son maître lui percera l’oreille avec un poinçon, et il le servira à toujours. » Knobel dit que, « dans l’Orient moderne, le symbole du percement des oreilles est le signe des individus consacrés… Il exprime que l’individu appartient à quelqu’un. » Enfin, comme, dans les pays où règne un despotisme absolu, l’esclavage privé s’accompagne d’esclavage public, l’idée reçue veut que tous les sujets soient la propriété du souverain. Nous pouvons croire que cette idée entraîne dans certains cas pour conséquence de rendre cette mutilation universelle. « Tous les Birmans, dit Sangermano, sans exception ont la coutume de se percer les oreilles. Le jour où l’opération s’accomplit est un jour de fête ; en effet, cette coutume tient dans leurs idées la place que le baptême occupe dans les nôtres. »

J’ajouterai un fait curieux, mentionné par Forsyth, qui a un rapport indirect avec les mutilations de cette classe : les Gonds saisis sent leurs oreilles avec les mains en signe de soumission.


On ne peut prendre les mâchoires comme trophées que sur les individus auxquels on ôte la vie. Restent les dents : on peut en arracher pour en faire des trophées sans diminuer gravement l’utilité du prisonnier. Delà une autre forme de mutilation.

Nous avons vu que chez les Achantis et dans l’Amérique du Sud on porte des dents en guise de trophées. Or, si l’on arrache des dents pour cela aux captifs que l’on préserve de la mort pour les réduire en esclavage, il faut que la perte des dents devienne un signe d’as-