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ANALYSESj. huber. — Die Forschung nach der Materie.

opinion que les données de notre conscience sensible constituent une simple apparence subjective. L’ancienne conception dogmatique de la matière s’évanouit. Platon la considère comme une essence dépouillée de toutes les qualités, de toutes les formes, et dont l’intellect seul peut connaître. Il n’y a plus de mots pour l’exprimer, plus d’images pour la représenter, et c’est par un raisonnement détourné (λογισμῷ τινὶ νόθῳ) qu’il faut chercher à atteindre ce je ne sais quoi invisible et sans forme qui tient le milieu entre l’être et le néant. De son côté, Aristote n’en donne pas une idée moins abstraite : elle est la pure possibilité de toutes les formes, de toutes les déterminations, également propre à devenir ceci ou cela.

Mais quelle est cette chose extérieure, qui, en tant qu’elle reçoit les différentes formes et les différentes qualités, semble être indifférente à tout ce qui s’imprime en elle ? Que nous reste-t-il de cette chose, si nous admettons l’idéalisme platonicien, si toutes les formes et toutes les qualités viennent uniquement de l’esprit ? « C’est une pure abstraction de supposer un simple substratum, qui n’est pas plutôt ceci que cela, un éternel Protée qui revêt toutes les formes et garde, par dessous, sa propre nature, qui n’est lui-même rien de ce que, par la perception ou la pensée, nous considérons en notre conscience comme des qualités ou des formes, et qui cependant ne peut pas ne pas être quelque chose, puisqu’il sert de fondement à toutes les qualités et à toutes les formes… Un être qui est seulement sans être quelque chose est absolument inconcevable… Ce serait supprimer la réalité même que de mettre d’un côté les représentations toutes seules, et de l’autre ce vain fantôme d’un être pur. »

Cependant cette théorie d’un principe qui est en réalité inconcevable se transmet à travers le moyen âge jusqu’aux philosophes modernes. Descartes s’efforce de déterminer par la pensée seule l’essence de la matière. Il regarde la forme comme une qualité constitutive de la matière, et il maintient le dualisme antique, en ce sens que la matière est simplement susceptible d’une forme, mais n’est pas formée en elle-même. Dieu lui impose, en lui imprimant le mouvement, la production arbitraire de telle ou telle forme. Leibnitz, dans sa première manière, adopte le même point de vue ; mais il s’affranchit du dualisme par sa découverte du principe des monades. La matière telle qu’elle s’offre à notre conscience sensible a pour lui la valeur d’un phénomène, mais d’un phénomène « bene fundatum », car il y a en elle, au fond, quelque chose de réel hors de nous, à savoir les monades, forces individuelles et se déterminant elles-mêmes, semblables aux atomes de Démocrite, en tant qu’elles sont simples comme eux, mais fort différentes, car elles constituent des facteurs spirituels, actifs par eux-mêmes, produisant des idées au dedans et consistant en une tendance permanente au dehors réalisant des formes. Par la conception de ces unités, dans lesquelles la matière s’identifie à la forme, et ce que l’on appelle un élément à l’âme, Démocrite et Platon sont conciliés. « Leibnitz, en