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toutes ces choses, et jusqu’à se pouvoir élever à la gloire de l’invention[1].. »

On peut l’affirmer en effet : la valeur philosophique de Démocrite est incontestée. Platon, il est vrai, n’a jamais parlé de lui ; mais l’histoire, qui est bien forcée de constater ce singulier silence, s’en étonne sans se l’expliquer. En revanche, Aristote, en rédigeant ses ouvragés, semble avoir eu constamment ceux de Démocrite sous les yeux. S’il le réfute presque aussi souvent qu’il le cite, cette insistance à le combattre montre non qu’il le dédaigne, mais que, tout en se plaçant à un point de vue différent et en professant d’autres doctrines, il pense que les thèses de l’atomisme sont dignes d’être examinées. Il l’approuve d’ailleurs en plus d’un endroit. Enfin, s’il était prouvé — et cela ne l’est pas — qu’Aristote eût quelquefois emprunté à Démocrite sans le citer, Aristote est tellement riche de son propre fonds que ces emprunts, dont il n’avait guère besoin, seraient non certes à la honte d’Aristote, mais seulement à l’honneur de Démocrite. Au reste, ce qui proclame la haute importance que l’antiquité a attribuée à l’entreprise de Démocrite, c’est que la plupart de ses adversaires ont été en même temps ses admirateurs ; c’est que ceux {mi l’ont critiqué semblent s’être appliqués à le faire assez connaître pour le dérober à l’oubli et que, malgré la perte de ses ouvrages, on possède encore assez de textes pour retrouver et rétablir au moins les lignes principales de son système.

Chez les modernes, dès que l’attention s’est portée sur Démocrite, elle a été captivée, et elle est devenue de plus en plus vive, à mesure que l’histoire de la philosophie s’est mieux constituée à l’état de science appuyée sur l’érudition et guidée par la critique. Il serait trop long de marquer ce progrès dans chacun des travaux historiques, allemands, anglais et français, qui ont précédé l’Histoire de la philosophie ancienne de Henri Ritter. Dans celle-ci, vingt-cinq pages sont consacrées aux théories de Leucippe et de Démocrite[2]. On y saisit passablement l’ensemble et les traits caractéristiques de la doctrine ; mais des points essentiels restent dans l’ombre, plus d’une difficulté est éludée ou n’est même pas aperçue, beaucoup de textes instructifs sont encore ignorés. Quelques années plus tard, en 1843, paraissait à Berlin, en langue latine* un volume de 439 pages, par Fréd.-Guil.-Aug. Mullach, où l’auteur avait réuni tous les textes qu’il avait pu recueillir sur Démocrite, en y joignant des dissertations sur la

  1. Bayle, Diction, histor. et crit., article démocrite.
  2. Le texte allemand a paru de 1829 à 1835. — Voyez la traduction française,par C.-J. Tissot, tome Ier, p. 473-496.