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titre ce simple mot : Ἀριθμοί, les Nombres, mot qui répond à une vaste science, où le raisonnement joue un rôle considérable. Démocrite avait laissé deux livres sur les lignes irrationnelles et sur les solides : Περὶ ἀλόγων γραμμέων ϰαὶ ναστῶν. Tous les interprètes ont entendu, par ces mots, un ouvrage sur les solides et sur les lignes dites incommensurables, c’est-à-dire qui n’ont pas de commune mesure. Des questions plus difficiles encore et plus compliquées remplissaient les traités désignés par les mots Ἐϰπετάσματα et Ἀϰτινογραφίη, probablement relatifs l’un et l’autre à la perspective théâtrale, qu’Agatarchus venait de créer à Athènes sous la direction d’Eschyle, sur laquelle il avait écrit et dont Anaxagore et Démocrite, profitant de ses leçons, avaient après lui développé la théorie. L’importance des travaux scientifiques de Démocrite n’a pas échappé à Montucla. « Démocrite — a-t-il dit — s’adonna avec grand soin à la géométrie, et il paraît que cette science lui dut beaucoup. Nous conjecturons par divers titres d’ouvrages qu’il fut un des principaux promoteurs de la doctrine élémentaire sur les contacts des cercles et des sphères et sur les lignes irrationnelles et les solides. La perspective et l’optique lui durent aussi quelques-uns de leurs premiers traits. Vitruve l’associe à Anaxagore dans l’invention de la première de ces sciences, sujet sur lequel il écrivit un traité intitulé Actinographie. Il est probable qu’il s’y agissait encore de l’optique directe, c’est-à-dire de la manière dont nous apercevons les objets[1]. »

Dans cet ordre de preuves, en voici une qui l’emporte de beaucoup sur les autres et par laquelle nous finirons. C’est un témoignage de Démocrite sur son propre compte, cité par Clément d’Alexandrie. Celui-ci, comme pour bien montrer qu’il copie un texte autobiographique, y ajoute cette explication : « Ces paroles sont de Démocrite, dans un endroit où il parle de lui-même et où il insiste avec fierté sur l’étendue et la diversité de son savoir. » Or, dans ce curieux passage, il est dit : « De tous les hommes de mon temps, je suis celui qui ai parcouru le plus grand nombre de pays, exploré les régions les plus lointaines, vu le plus de climats et de contrées, entendu le plus grand nombre de savants, et personne ne m’a jamais surpassé dans l’art de combiner géométriquement les lignes et de faire des démonstrations, non pas même ces Égyptiens appelés Harpédonaptes, chez lesquels, étranger, j’ai vécu cinq années entières[2]. » — Le sens du mot Harpédonaptes a été ingénieusement

  1. Montucla, Histoire des mathématiques. Paris, 1758, t. I, part. I, livre III, p. 141.
  2. Clément d’Alexand., Stromat., I, p. 304. édit. Sylburg.