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mathématique de certains atomes en rapport les uns avec les autres. D’où il s’ensuit que la sensation et la pensée sont l’une et l’autre l’effet d’un mouvement communiqué aux atomes de l’âme et une modification, un changement produit dans la disposition géométrique de ces atomes[1]. Or, les agents, les intermédiaires qui portent ces mouvements du dehors jusque dans l’âme, laquelle est diffuse par tout le corps, ces agents, ce sont les idoles ou images qui courent des corps à nous. Nous voyons par ces images ; par ces images aussi nous pensons : Quæ idola nominant, quorum incursione non solum videamus, sed etiam cogitemus[2].

Des textes concordants établissent avec certitude que, pour Démocrite, la pensée et la sensation ont la même origine extérieure, résultent également de la mobilité et du choc de certains atomes, consistent également dans des déplacements, des changements, des dispositions nouvelles des atomes de l’âme-corps, Il est dit dans un passage remarquablement explicite de Stobée que, d’après Leucippe, Démocrite et Épicure, la sensation et la pensée sont produites l’une et l’autre par l’entrée en nous d’idoles (ou images) venues de dehors, et que personne n’a ni sensation ni pensée sans un choc, à l’intérieur, de ces idoles[3]. Comment ces idoles se détachaient-elles des objets perçus, comment entraient-elles dans le sujet percevant, comment s’opérait le choc de l’idole ou de ses atomes sur les atomes de l’âme, et comment la disposition des atomes de l’âme (διάθεσις) en était-elle changée de façon à susciter une pensée nouvelle ? Aucun renseignement ne répond à ces diverses questions. À cet égard, M. Liard a hasardé une conjecture à la fois ingénieuse et plausible[4]. Je n’ai pas à discuter cette interprétation, et je me contente de la signaler à la curiosité des lecteurs, parce que, quelle qu’ait été la marche imprimée aux idoles par les engrenages du mécanisme atomique, les similitudes d’origine entre la sensation et la pensée d’une part, et d’autre part la différence de valeur logique entre le témoignage des sens et celui de la raison, restent absolument les mêmes. De quelque façon que l’atomisme ait décrit, si toutefois il a réussi à la décrire, la double opération de la connaissance, il n’y a vu que des déplacements de particules accomplis dans le corps de l’homme, et quelquefois, en termes plus brefs, des altérations du corps : τὰς αἰσθήσεις ϰαὶ τὰς νοήσεις ἐτεροιώσεις εἶναι τοῦ

  1. Die Philosophie der Griechen, t. 1er , p. 815. « Empfindung und Bewusstsein sind nur eine Folge von der Beweglichkeit jener Atome. »
  2. Cicer., de Finibus, liv. I, ch. vi, § 21.
  3. Stob. Florileg., IV. 283, édit. Meineke. a Τὴν αἴσθησιν ϰαὶ τὴν νόησιν γίνεσθαι εἰδώλων ἔξωθεν προσιόντων… » Etc.
  4. De Democrito philosopho, p. 53.