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il tient compte de la réalité sensible, mais pour la réduire aussitôt à des éléments avec lesquels la sensibilité n’a rien à démêler. Au contraire, pour lui, la raison est la seule faculté véridique et féconde. Elle pose, en vertu de son autorité supérieure, les principes universels qui plus tard seront nommés axiomes. De ces vérités, elle en tire d’autres. Soit qu’elle la déduise des principes généraux, soit qu’elle l’affirme comme évidente, elle proclame l’existence du vide et des atomes et donne à ces choses éternelles des attributs que l’expérience n’atteint pas plus qu’elle ne perçoit ces réalités elles-mêmes. Enfin Démocrite est sceptique, formellement sceptique à l’égard de la connaissance sensible ; il ne l’est jamais à l’égard de la raison.

Tel a été, au point de vue de la connaissance et de la méthode, le système de Démocrite. Je puis donc dire que cette doctrine est une construction métaphysique où la faculté à priori et la déduction jouent le rôle principal, presque l’unique rôle, et où la matière est tout près de n’être plus rien de matériel.

Voilà qui peut donner à réfléchir. Les historiens de la philosophie sont à peu près unanimes à reconnaître que l’atomisme démocritique est un type qui a été créé du premier coup et qui, chaque fois qu’il s’est reproduit dans la suite des siècles, a conservé intactes ses lignes fondamentales. Si cette loi a vraiment présidé à la naissance des analogues de l’atomisme grec, ces répétitions du type primitif seraient donc aussi des systèmes ourdis surtout par le travail de la raison métaphysique, et des matérialismes sans matière, du moins au sens ordinaire du mot. Ce point serait important à vérifier. Notre recherche est à poursuivre.

Ch. Lévêque,
de l’Institut.