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carrau. — moralistes anglais contemporains

vérité. M. Sidgwick affirme que le sens commun répugne à l’accepter ; est-ce là un argument décisif en philosophie ? Et d’ailleurs où sont les preuves de cette répugnance ? Le stoïcisme a fait une assez belle fortune dans l’histoire pour qu’il soit permis de douter que le sens commun en repousse absolument le principe fondamental. Si toutefois l’un refuse de placer le souverain bien dans la vertu, il reste l’idée de perfection dont M. Sidgwick n’a présenté, ce nous semble, qu’une insuffisante analyse. Peut-être fournirait-elle, avec la notion du souverain bien, le véritable principe de l’obligation morale.

VI

Nous insisterons peu sur le quatrième livre de l’ouvrage, où l’auteur traite de l’utilitarisme. On prévoit facilement, par ce qui précède, et les conclusions auxquelles il aboutit, et les objections que nous aurions à faire.

M. Sidgwick commence par déterminer la signification de l’utilitarisme, ou hédonisme universel, qu’il distingue soigneusement de l’hédonisme égoïste. L’utilitarisme est proprement la doctrine qui propose comme fin suprême de la conduite « le plus grand bonheur du plus grand nombre ». Mais cette notion du plus grand bonheur est bien vague, et nous ne voyons pas que l’auteur fasse le moindre effort pour lui donner quelque précision. Au contraire, il déclare qu’elle présente dans la morale de l’hédonisme universel les mêmes difficultés que dans celle de l’hédonisme égoïste. Or ces difficultés, d’après la critique même de M. Sidgwick, sont telles que nulle détermination rigoureuse du principe fondamental de l’utilitarisme ne semble possible. Comment donc M. Sidgwick peut-il prétendre que la doctrine utilitaire est plus scientifique que la doctrine intuitioniste ? Voici de quelle manière il procède. Dans deux chapitres intitulés la Preuve de l’utilitarisme, il s’attache à montrer que le principe de l’intérêt général est seul capable d’expliquer les contradictions apparentes précédemment signalées entre les maximes du sens commun, et de fournir une explication suffisante des règles multiples de l’intuitionisme. Cette conclusion ressort pour lui d’un examen rapide des vertus, dont la critique remplit la plus grande partie du livre III : devoirs de famille, obligations de l’amitié et de la reconnaissance, prescriptions de la charité et de la justice, ont également un fondement utilitaire ; la pureté même ne fait pas exception. Le sens moral est donc « utilitaire sans en avoir conscience » (unconsciously utilitarian), et cette hypothèse rend parfai-