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herbert spencer. — études de sociologie.

faits jettent aussi de la lumière sur l’état actuel des choses en Russie ; car il est évident que les prétendus cadeaux réclamés par les pauvres fonctionnaires russes, avant de remplir leur devoir, représentent les présents qui formaient leurs seuls moyens de subsistance à l’époque où ils n’avaient pas de salaire.

L’habitude nous a tellement familiarisés avec le payement de sommes fixes pour des services spécifiés, que nous supposons, comme d’ordinaire, qu’il en a toujours été ainsi. Mais quand nous lisons que dans des sociétés faiblement organisées, comme celle des Bechuanas, les chefs accordent à leurs officiers « une petite portion de nourriture ou de lait et les laisse se pourvoir pour le reste par la chasse ou l’extraction des racines sauvages », et quand on nous dit que dans les sociétés beaucoup plus avancées, par exemple au Dahomey, « aucun officier ni serviteur du gouvernement ne reçoit de paie », nous voyons que primitivement les serviteurs du grand chef, n’étant pas entretenus aux frais publics, sont obligés de pourvoir eux-mêmes à leur subsistance. Puisque leur position leur donne le pouvoir de faire du mal ou du bien aux sujets, puisqu’en réalité on ne peut le plus souvent s’adresser au chef supérieur que par leur intermédiaire, il y a les mêmes motifs pour gagner leur bon vouloir par des présents que pour gagner celui du chef supérieur : de là le développement parallèle du revenu dans les deux cas. L’induction suivant laquelle les émoluments payés aux officiers politiques commencent de cette façon sera vérifiée tout à l’heure par sa concordance avec l’induction, plus nettement établie, que telle est l’origine de l’entretien des fonctionnaires ecclésiastiques.

Comme on se représentait primitivement le double de l’homme mort comme pouvant être vu et touché aussi bien que le mort lui-même, comme on s’imaginait qu’il était également sujet à la douleur, au froid, à la faim, à la soif, on supposait naturellement qu’il avait besoin de manger, de boire, de se vêtir, etc., et qu’on pouvait gagner son bon vouloir en lui fournissant le nécessaire. À l’origine, les présents offerts aux morts avaient donc la même signification-et les mêmes raisons d’être que ceux offerts aux vivants.

Sur tous les points du globe, nous trouvons que dans les sociétés peu avancées les offrandes aux morts marchent de front avec les offrandes aux vivants. Des mets et des liqueurs sont déposés à côté des cadavres non enterrés par les Papuans, les Tahitiens, les habitants des îles Sandwich, les Malanans, les Badagas, les Karens, les anciens Péruviens ; en Afrique, par le peuple de Sherbro, de Loango, les nègres de l’intérieur, les Dahomans, etc. ; dans les régions élevées de l’Inde par les Bhils, les Santals, les Kukes, etc. ; en Améri-