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tant d’autres les raisons de notre supériorité. Quelle est dans l’activité psychique de l’homme la marque distinctive, la fonction caractéristique ? Il insiste à plusieurs reprises sur cette proposition que l’activité psychique étant la même dans tout le domaine de la vie, il ne peut être question ici de facultés nouvelles. La distinction cherchée doit être trouvée dans l’emploi différent des facultés propres à tous les êtres intelligents. « L’homme, d’animal intelligent qu’il était, se transforme en animal raisonnable et progressif sans cesser d’être le même essentiellement » (p. 173). L’animal en effet a déjà le sentiment de soi-même ; mais en lui ce sentiment est implicite, c’est-à-dire qu’il se lie intimement aux actes qu’il produit, aux affections qu’il éprouve ; il ne saurait se distinguer lui-même des perceptions ou souvenirs particuliers auxquels il est mêlé par une sorte d’immédiation (p. 174). Quand l’animal distingue ses perceptions et ses souvenirs du sentiment qu’il en a, et que ce sentiment devient assez explicite pour être l’objet d’une pensée expresse, bref, quand l’animal a le sentiment du sentiment de soi, alors, par le fait même, suivant l’expression familière à M. Vignoli, il devient intellectuellement homme. Voilà en quoi consiste la conscience humaine. Ce qui la fait surgir de la conscience animale, c’est ce fait du redoublement. Il n’est pas un seul de nos lecteurs qui ne reconnaisse dans ce redoublement la faculté classique et dont le privilège exclusif a été tant de fois attribué à l’homme, la réflexion. M. Vignolil’avoue lui-même (p. 179). Pourquoi ne pas se servir du terme ordinaire ? Un mot nouveau ne constitue pas une découverte. C’est au contraire, à notre avis, une bonne fortune pour M. Vignoli de se trouver ici d’accord avec la psychologie traditionnelle, avec le sens commun et avec les recherches de l’école expérimentale. « Tout ce qui ne peut exister sans la conscience réfléchie, dit M. Joly, l’animal ne l’a pas ; et il a tout ce qui peut exister sans elle » (l’Homme et l’Animal, p. 258). H. Spencer énonce une idée analogue lorsqu’il distingue entre la présentation simple, la représentation et la re-représentation, celle-ci étant réservée aux cerveaux les plus hautement organisés. C’est donc un point acquis en psychologie que l’animal ne réfléchit pas et que l’homme réfléchit. Mais est-ce là un résultat dont la science de l’esprit puisse je ne dis pas s’enorgueillir, mais se contenter ? Ce qu’il faudrait savoir et ce que M. Vignoli ne paraît pas se soucier de découvrir, c’est le moyen de déterminer au moins approximativement où commence la réflexion et où finit l’immédiation ? À quel signe reconnaître qu’un être a le sentiment du sentiment de lui-même, ou n’a que le sentiment de lui-même, sans « redoublement » ? Quelle structure cérébrale correspond à la conscience simple, quelle à la cons-