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marion. — john locke d’après des documents nouveaux

jeunesse, c’est que la scolastique de ses maîtres le trouva absolument rebelle, faillit le dégoûter à tout jamais de la philosophie, par conséquent n’eut point d’action sur lui, si ce n’est en irritant et fortifiant toutes ses tendances contraires. Maintenant, qu’il dût en partie à Bacon son horreur du syllogisme et de la dialectique scolaire, son goût pour les faits et l’expérience, je n’oserais pas le nier ; mais à coup sûr il ne lui en fut redevable qu’indirectement et, ce me semble, dans une faible mesure. On ignore, en effet, à quel âge il lut le Novum Organum, et il n’est dit nulle part qu’il en eût reçu une profonde impression. Le plus probable est que, à l’époque où il connut ce code de la recherche inductive, il était déjà tout détaché des disputes d’école, tout pénétré de l’esprit qui anime l’Instauratio Magna. Cet esprit, en somme, était le sien, comme il avait été celui de Bacon. C’était moins, en effet, l’inspiration personnelle d’un génie créateur, que la commune aspiration de toutes les intelligences ouvertes et libres, dans une époque de grande rénovation scientifique. Tout le monde sait que Bacon n’a ni inventé ni même pratiqué utilement pour son compte la méthode expérimentale, mais que, témoin passionné des grandes découvertes du xvie siècle, il s’est borné à analyser minutieusement les procédés auxquels était dû cet essor des sciences de la nature. lia donné les règles de l’observation et de l’expérience ; mais d’autres déjà les avaient appliquées d’instinct. Le service qu’il a rendu (et il est encore immense) a été de tirer ces règles au clair dans des formules précises, quoique un peu compliquées, et surtout de répandre le respect et le goût des sciences en les célébrant avec autant d’autorité que de verve[1]. Eh bien, encore une fois, il se peut, il est même nécessaire, que Locke ait subi à quelque degré l’influence de cette apologie de la méthode inductive, si retentissante et qui venait de si haut ; mais on peut en dire autant de toute sa génération, et Bacon ne fut nullement pour lui en particulier un révélateur. La tendance empirique est un des traits de l’esprit anglais : elle était chez Locke aussi forte que chez aucun autre, il était homme à écrire le Novum Organum s’il n’eût été écrit avant lui. Il ne faut donc attribuer à personne qu’à lui-même sa préférence pour la recherche expérimentale, sa tendance à demander la vérité à l’examen des faits, non aux déductions logiques ou théologiques. Loin qu’il eût besoin de puiser cette disposition dans la lecture de Bacon, je dirais plutôt qu’il fallait qu’elle fût bien forte en lui pour qu’il fit cette lecture et y prît goût. N’oublions

  1. Voy. les diverses histoires de la philosophie, et, dans la Revue philosophique de l’an dernier (février 1877), l’étude de M. Lévêque sur Fr. Bacon, métaphysicien.