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Louis Viardot. Libre Examen. 5e  édition. Paris, Reinwald, 1877.

Parvenu avec un rapide succès à sa cinquième édition, le livre de M. Viardot était intitulé dans sa première forme Apologie d’un incrédule. Ce titre convenait peut-être mieux que celui de Libre Examen, pour exprimer le caractère d’un ouvrage, où ce qui manque le plus, c’est précisément l’examen, la recherche libre d’idées préconçues. L’auteur en effet y songe moins à discuter les questions graves qui l’occupent, les problèmes éternels de la philosophie, qu’il ne prétend justifier des conclusions négatives qui depuis longtemps ont force de loi dans son esprit, et invoquer, pour les couvrir, l’autorité de tous les philosophes qui ont pensé comme lui. Il cite les raisonnements d’autrui plus qu’il ne raisonne à nouveau et par lui-même. Rien ne ressemble moins, à vrai dire, que cette méthode de citations perpétuelles, au libre examen, tel que le définissait et le pratiquait Descartes, lorsque, se dépouillant de toute opinion d’emprunt, il s’ouvrait par un effort personnel le chemin de la vérité. Tout au rebours, M. Viardot a composé, après d’immenses lectures, comme une anthologie de tous les ouvrages de philosophie athée et matérialiste. Son livre est comme une audition sans fin de témoins appelés à déposer dans le procès intenté à l’âme et à Dieu par la philosophie, les témoins à charge étant les seuls qui comparaissent.

L’auteur avoue ingénument qu’il abuse des citations. Sur ce point, l’habitude prise est si forte, que M. Viardot fait des citations encore pour annoncer qu’il en fera et pour s’excuser d’en faire. Sans doute, cet abus est en partie le résultat involontaire de la multiplicité de ses lectures, le fait d’un esprit qui a beaucoup de mémoire, et à qui la pensée se présente toujours sous la forme d’un souvenir de tel ou tel auteur. Mais l’emploi des citations semble aussi chez, M. Viardot provenir d’un autre cause, et du besoin qu’il a de s’entourer d’autorités, de se trouver, dans ses conclusions un peu sceptiques, en bonne et nombreuse compagnie. C’est avec quelque timidité qu’il propose ses doutes : il cherche, comme il l’avoue, « des garants, des complices ». Par endroits même, il nous a semblé reconnaître quelque chose comme la nostalgie de la foi et le regret d’avoir perdu ses croyances. « Bienheureuse serait l’humanité, s’écrie-t-il, si, dans son besoin impérieux d’une religion quelconque, elle embrassait le culte épuré du simple déisme ! » (p. 11)

C’est à l’idée d’un Dieu créateur que M. Viardot s’attaque d’abord dans le chapitre II, comme dans le chapitre III il combattra la notion d’un Dieu Providence. L’infinité du temps et l’infinité de l’espace, tels sont les deux obstacles insurmontables contre lesquels viendrait se briser la théorie de la création. À ces deux premières infinités, l’auteur en joint une troisième, celle de la matière : « de sorte, dit-il, que nos existences se meuvent dans trois infinités : fragments de la troisième, nous passons un moment de la seconde sur un point de la première. In illis vivimus, movemur, et sumus » (p. 32). L’éternité et l’auto-création d’un monde existant par lui-même, telles sont les conclusions de M. Viardot. C’est à un panthéiste plutôt qu’à un athée que nous avons affaire. L’au-