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ribot. — théories allemandes sur l’espace tactile

La théorie empirique ou génétique admet une évolution psychologique. S’appuyant particulièrement sur l’influence de l’association ou de l’habitude, elle attribue le fait de la localisation tactile à l’expérience, en ce qui concerne non-seulement son perfectionnement, mais son origine.

On peut trouver les premiers linéaments de cette doctrine dans Locke, Condillac, Berkeley surtout, et en général chez ceux qui inclinent à faire la part aussi large que possible à l’expérience. Dans ce siècle, Herbart, guidé par des raisons purement métaphysiques, ramena la notion d’espace à une succession d’états de conscience qui peut être renversée, c’est-à-dire parcourue indifféremment de A en Z et de Z en A. Il voulait expliquer par ce moyen comment l’âme, qu’il suppose absolument simple et inétendue, peut percevoir des objets ayant une étendue et une forme. Le mouvement d’un membre produit dans la conscience une série d’états : c’est cette série, en tant qu’elle peut être renversée (non les mouvements eux-mêmes), qui nous suggère la notion d’espace.

En 1811, un auteur aujourd’hui peu connu, Steinbuch, dans ses Beiträge zur Physiologie der Sinne, soutint que le mouvement seul peut nous fournir la notion d’espace. Sa théorie, qu’il appliquait surtout à la vision, mérite d’être rappelée : elle contient en germe la thèse soutenue plus tard avec tant d’éclat et d’ampleur par les psychologues anglais et surtout par Bain. Il dit expressément en ce qui concerne la vue, que toute différence d’espace sur la rétine, est en réalité une différence de temps, résultant des contractions nécessaires pour exposer diverses parties de la rétine l’une après l’autre à une même lumière.

Mais Lotze est le premier qui ait donné une théorie profondément élaborée de l’hypothèse empirique ; il suffira de la résumer en quelques mots. Chaque point sentant du corps a son signe local. Ce terme n’implique primitivement aucune localisation ni aucune étendue ; il signifie simplement que chaque impression tactile présente une nuance particulière qui doit servir plus tard à la localiser dans un certain point du corps. À l’origine, ces impressions sont purement intensives et ne présentent aucune détermination, quelle qu’elle soit, quant à l’espace. Plus tard, l’esprit, en vertu des lois qui lui sont propres, transforme ces données intensives en quantités extensives et produit ainsi une « reconstruction de l’espace ». Le rôle capital dans la genèse de cette notion appartient donc ici à un processus psychologique qui a pour point de départ les signes locaux auxquels s’ajoutent les sensations musculaires qui accompagnent le contact. Tout en reconnaissant le rôle important que joue ce