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d’une force inhérente à l’homme, d’un principe actif, indépendant des excitations du dehors.

Pour ces motifs divers, il semble que la psychologie de Lamarck ait quelque droit à être tirée de l’oubli où elle était restée. À part les quelques pages que lui a consacrées M. Martins dans l’introduction qui précède sa nouvelle édition de la Philosophie zoologique, elle n’a jamais été étudiée[1]. Je m’étonne que personne n’ait été séduit tout au moins par l’imperturbable confiance dont témoigne l’auteur. Rien ne l’arrête, rien ne l’embarrasse, et nous nous trouvons en présence d’un système admirablement lié, qui en apparence n’offre ni incohérence ni lacune. Il est vrai que ces qualités systématiques sont souvent gâtées ou compromises par l’obscurité et la lenteur de l’exposition. Le style est diffus et verbeux et a pu rebuter les lecteurs. Lamarck s’entendait mieux évidemment à classer les œuvres de la nature qu’à distribuer ses propres pensées.

II

L’idée maîtresse qui domine la psychologie de Lamarck, c’est que les facultés des animaux et de l’homme sont le résultat d’additions successives, d’une marche ascendante de la nature. « Si l’on considère attentivement la marche qu’a suivie la nature, on verra que partout, pour créer ou faire exister ses productions, elle n’a rien fait subitement ou d’un seul jet, mais qu’elle a tout fait progressivement, c’est-à-dire par des compositions et des développements graduels et insensibles : conséquemment, tous les produits, tous les changements qu’elle opère, sont évidemment assujettis de toutes parts à cette loi de progression qui régit ses actes. » Rien n’échappe donc à la loi de progression, et l’on voit ce qu’il faut entendre par là. Ce n’est pas une loi de transformation, à proprement parler : c’est une loi d’accroissement, d’acquisition continue. Aussi la théorie de la sensation transformée, telle que l’admettait Condillac, n’est nullement conforme aux principes de Lamarck, qui n’y aurait vu qu’une série de miracles inexplicables. Au premier abord, il semblerait qu’une hypothèse comme celle du Traité des sensations, qui nous présente l’impression sensible devenant tour à tour toutes choses, jugement, raisonnement, volonté, dût être du goût d’un philosophe évolutionniste, et que la conception de Lamarck ne fût, si je puis dire, que

  1. Pour en donner un exemple, il n’est pas dit un mot des théories psychologiques de Lamarck, ni dans la première, ni dans la seconde édition du Dictionnaire des sciences philosophiques.