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paulhan. — la théorie de l'inconnaissable

donne aujourd’hui vaut mieux que celles que l’on présentait autrefois, ce n’est pas par ce qu’elle affirme, mais par ce qu’elle nie. Elle est préférable aux autres, parce qu’elle affirme moins, et le dernier progrès consistera à ne plus rien affirmer du tout. Dans un article sur la philosophie de M. Spencer publié dans la Revue des Deux-Mondes, M. Laugel a fait, il me semble, une confusion analogue : « Peut-être trouvera-t-on cependant, dit-il, que cette distinction entre l’absolu et le relatif devient quelquefois impossible à saisir… Il semble déjà plus difficile de tracer une limite entre la force absolue et la force relative… l’on ne voit pas trop comment distinguer cette énergie universelle de je ne sais quelle énergie absolue, dégagée de toute loi et soustraite à toute règle. » La distinction, quoi qu’en dise M. Laugel, me paraît facile à faire, la force absolue étant pour M. Spencer la force telle qu’elle est en soi, la force relative étant la manifestation de la force absolue, la force telle qu’elle est par rapport à nous, telle qu’elle se présente à notre connaissance.

M. Secrétan a attaqué aussi la théorie de M. Spencer, « L’anthropomorphisme contre lequel il s’élève, dit-il, n’a sans doute qu’une valeur symbolique, mais il n’est pas exact, comme il le croit, qu’un symbole puisse être absolument dénué de ressemblance avec l’être symbolisé. L’anthropomorphisme n’est qu’une tendance dont la vérité consiste en ceci : que l’élément de perfection compris dans ce que l’expérience nous offre de plus parfait doit se trouver dans l’être absolu, pur de tout ce qui le restreint et l’altère. Cet élément, c’est la liberté que M. Spencer ne connaît pas, c’est la volonté morale qu’il abaisse au rang des moyens et des apparences[1]. »

M. Secrétan ne réfute nullement les arguments présentés par M. Spencer contre la possibilité de connaître et d’admettre un Dieu absolu. Il se borne à conserver la croyance au libre arbitre de l’être parfait. Cela ne suffit pas pour rendre acceptable un système qui soulève des objections qu’on ne peut réfuter. D’ailleurs liberté et perfection sont contradictoires. Si Dieu est parfait, il ne peut vouloir que le bien, s’il ne peut vouloir que le bien il lui est impossible de vouloir le mal, donc il n’est pas libre. D’autre part, la liberté, et la volonté morale supposent une personnalité, et une personnalité absolue est une contradiction, la liberté et la volonté morale supposent la conscience et la conscience absolue est une autre contradiction.

« Quand il (M. Spencer) traite des notions les plus générales abordables à l’intelligence humaine et des réalités profondes de la

  1. Ch. Secrétan. Discours laïques, p. 167.