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h. taine. — géographie et mécanique cérébrales

du pharynx fait contracter tour à tour, et toujours de la même manière, d’abord les muscles constricteurs du pharynx et les glosso-pharyngiens, puis les muscles circulaires et longitudinaux de l’œsophage, ce qui opère la déglutition. Dans ces deux cas, le jeu de la machine animale est aussi savant, mais aussi aveugle que celui d’une serinette ; quand le manche tourne, l’air s’exécute bon gré mal gré, avec un effet utile ou nuisible, peu importe ; quand les parois du pharynx sont en contact avec un objet, la déglutition s’accomplit, bon gré mal gré, quel que soit l’objet, fût-ce une fourchette ; la fourchette descend, saisie comme par une pince, et va plus bas perforer l’estomac. — En d’autres cas, par exemple dans celui des membres, le jeu de la serinette est aussi aveugle ; mais, étant plus savant, il semble l’effet d’un choix intelligent et presque libre. La vérité est que la serinette, au lieu d’un seul air, en joue plusieurs et plusieurs dizaines, tous appropriés et adaptés. Ainsi, dans le tronçon postérieur de la grenouille coupée en deux, selon que le point irrité par l’acide acétique est situé sur le dos ou sur la cuisse, le membre postérieur exécute, pour y atteindre, tantôt un mouvement, tantôt un autre ; il faut donc que dans la moelle, comme dans une serinette disposée pour jouer plusieurs airs, il y ait un nombre assez grand de cellules et de nerfs intercellulaires pour que plusieurs dizaines de combinaisons distinctes et de circuits indépendants puissent s’y produire. Selon que le premier choc du manche de la serinette a mis le cylindre intérieur à tel ou tel cran, la serinette joue tel ou tel air. Selon que tel ou tel nerf afférent a ébranlé telle ou telle cellule, le courant nerveux suit un chemin différent dans la série des cellules, ébranle dans un ordre différent la série des nerfs moteurs, et provoque, par une combinaison particulière de contractions musculaires, une combinaison particulière de mouvements.

Ce sont là des dispositions anatomiques préétablies, comme celles des muscles, des tendons, des articulations et des os ; par cette distribution et par ces connexions des cellules et des nerfs, les chemins du courant nerveux lui sont tracés d’avance. — Ici intervient une propriété qui distingue la machine nerveuse de nos machines ordinaires. Sa fonction la modifie. Plus un chemin a été parcouru par les courants antérieurs, plus les courants ultérieurs ont chance de le prendre et de le suivre. D’abord ils ne l’ont pris que difficilement ; ils ne l’ont pas suivi jusqu’au bout ; ils ne l’ont suivi que sous l’influence du cerveau et de la pensée. Après plusieurs tâtonnements et à force de répétitions, ils finissent par le prendre du premier coup, par le suivre jusqu’au bout, par le prendre et le suivre sans l’intervention du cerveau et de la pensée. C’est ainsi qu’après un