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h. spencer. — conscience sous l’action du chloroforme

diminua ; il n’y eut plus qu’un mouvement oscillatoire de moins en moins rapide et non douloureux. Je n’avais plus conscience de rien, sauf de ce corps chaud et vibrant. C’est tout ce qu’il restait de moi, et aucune autre espèce de mouvement n’attirait mon attention. Puis survint un sentiment vague de repos infini dans un air immobile, ensuite plus rien.

… Ce silence qui aurait pu durer toujours dans cette obscurité, se rompit. Le repos était complet dans ce vide ; toutefois quelque part il y avait quelque chose qui pesait lourdement ; cela détonnait dans ce calme et devenait toujours plus discordant, plus sensiblement lourd ; c’était une pression accablante ; elle s’accroît, et même avant que j’eusse le temps de m’étonner du désagrément causé par cette interruption du calme parfait où j’étais, elle apparut comme quelque chose d’indiciblement cruel et douloureux. Pour un instant, il n’y eut plus que cette présence profondément cruelle et l’aperception que j’en avais. C’était quelque chose d’affreux au delà de toute expression ; je l’éprouvais comme une injustice surhumaine ; mais cette apparition avait été précédée d’un calme si complet que je ne sentis pas la moindre disposition à faire la moindre remontrance… Cela empira… Au moment où la cruauté et l’injustice devinrent tellement insupportables que je pouvais à peine les endurer, soudain elles se changèrent en une douleur lourde, envahissante ; tout mon corps n’était qu’une blessure vive, et la souffrance plongeait au plus profond de mon être. Je sentais comme une masse d’atomes sympathiques et, à chaque lancement de la douleur, chacun d’eux était poussé par une pression vigoureuse sur les autres : tous étaient excessivement sensibles et se dérobaient à la blessure, mais il n’y avait pas de refuge. Un peu auparavant, j’avais simplement ressenti cette attaque cruelle dans une passivité inerte ; maintenant, une douleur plus pénétrante survint. Pour un instant, tous mes atomes formèrent une masse solide d’acier dans une agonie intense, et alors à ce terme extrême quand tout allait finir, il se fit une réaction. Il y eut une détente ; je me sentis soulagé en exprimant du fond de mon être moins un cri de plainte qu’une sorte d’imitation lamentable de ma douleur ; en fait, le sentiment de la douleur avait passé en dehors de moi ; je l’entendais comme un gémissement très-bas, très-naturel…

L’instant après, nouveau changement ; jusqu’ici la douleur était partout ; maintenant, rapidement concentrée, elle s’amassa (comme du mercure), et soudain je la perçus comme localisée à droite. En même temps que je perçus cette localisation, je sentis naître un commencement de résistance dans les autres parties (tout ce que