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Dieu. » Il nous dira qu’il ne nie pas les effets de la musique, et lui-même à sa façon les explique (ch. IV). Il ne s’élève, ajoute-t-il que « contre la transformation abusive et anti-scientifique de ces faits en principes esthétiques ». Il est à remarquer que l’auteur a une grande prétention à la science et qu’il croit suivre des procédés scientifiques. Cette prétention nous paraît peu justifiée. La première condition serait, en effet, avec l’exactitude et la précision du langage, le soin de ne pas se contredire. Or l’auteur est-il bien d’accord avec lui-même, quand il refuse à la musique la vertu d’exprimer le sentiment ou la passion même dans leur généralité, et qu’il lui accorde le pouvoir de reproduire les mouvements qui les accompagnent et qui ne sauraient s’en détacher ? S’agit-il de l’amour, il est clair que la musique n’en saurait déterminer l’objet. Cela est accordé ; mais, dit-il, il est une sorte de dynamique qu’elle exprime et qui lui correspond. « La musique ne peut exprimer l’amour, mais seulement un mouvement qui peut se produire lorsqu’on éprouve de l’amour (p. 27). Elle se prête à figurer le mouvement dans un état psychique, d’après les phases qu’il traverse. Elle est avec celles-ci, lente et vive, forte ou douce, impétueuse ou languissante. Mais le mouvement est un attribut, une phase du sentiment, il n’est pas le sentiment. » (Ibid.) — Nous le demandons, cela est-il clair et conséquent ? Comment peut-on séparer du sentiment ce qui en est l’attribut ? Comment du sentiment isoler ses phases ? Et comment la musique qui suit ces phases n’a-t-elle rien à voir avec ce sentiment ?

C’est là, pour nous, de la scolastique subtile plutôt que de la science et de la vraie logique scientifique. L’auteur ajoute, il est vrai, qu’il prend ici le mouvement « dans le sens le plus large, et que c’est ce que la musique a de commun avec le sentiment. » (Ibid.) Il ne voit pas que par là précisément il renverse sa thèse. Car alors que sont ces mouvements pris lato sensu ? Des mouvements psychiques, des mouvements intérieurs de l’âme, c’est-à-dire des passions ou des sentiments, comme les anciens, Aristote et les stoïciens les avaient très-bien nommés (ϰίνησεις, ὀρμας). Comment donc ne pas voir que toute cette dynamique est une dynamique psychique qui n’a de commun avec le mouvement extérieur qu’une analogie très-réelle sans doute, mais dont l’auteur abuse ? « En résumé, dit-il, la musique pure n’a, pour atteindre le prétendu but qu’on lui assigne, que l’analogie du mouvement et du symbolisme des sons » (p. 39).

Le symbolisme des sons ? Encore un mot que l’auteur ne précise pas assez, dont il n’approfondit pas le sens et qui, bien compris, pourrait bien à son tour détruire également sa thèse. Mais nous n’insistons pas. Nous avons hâte d’arriver à la partie positive, celle où l’auteur établit ce qu’il entend par le beau musical.

II. Qu’est-ce donc que le beau musical ? « C’est celui qui réside uniquement dans les sons et les combinaisons des sons, en un mot dans les formes musicales. » Celles-ci s’adressent à l’esprit, non à la sensibilité ; elles sont objet de contemplation pure (p. 47). Voilà ce qui est