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dastre. — le problème physiologique de la vie

rattacher seulement à leur raison prochaine, c’est-à-dire aux causes secondes ; ce serait là une façon de revenir sur le terrain solide de la science. Ne parlons donc plus de causes ; résignons-nous à les. ignorer, et, en tant qu’hommes de sciences, restons agnostiques, mécanicistes ou positivistes (dans le sens restreint du mot) ; c’est-à-dire, reléguons l’ordre des causes hors de la science.

C’est le conseil que nous donne Claude Bernard. Après tous les grands esprits qui ont compris la véritable condition des sciences humaines, après Bacon et Newton, il nous apprend à bannir non de la philosophie, mais de la science, la considération des causes. Il enchaîne la physiologie à l’observation des conditions phénoménales et la prévient contre l’entraînement naturel qui l’emporterait à la poursuite des causes premières : il assigne à ses efforts la recherche féconde du comment au lieu de la vaine recherche du pourquoi ; et, comme il ne peut se rendre compte des phénomènes, il se contente de s’en rendre maître, trouvant une merveilleuse compensation dans cette condition de la science, qui, à mesure qu’elle froisse notre sentiment et rabaisse notre orgueil, augmente notre puissance.

Mais M. Chauffard ne veut pas entendre à de tels conseils. Il n’a pas le sentiment de cette séparation de la physiologie d’avec la philosophie dont l’expérience des siècles proclame la nécessité. Condamner la science à la poursuite des conditions phénoménales, la réduire à cette maigre ambition, à ce train mesquin, c’est la découronner, la ravaler ; c’est en faire une « petite physiologie ». Il ne croit pas que la physiologie finisse où la philosophie commence et confondant la tâche du philosophe avec celle du savant, il persiste à penser qu’on peut être au même moment et dans la même opération homme de science et métaphysicien.

On a dit que la vraie manière de comprendre les choses consistait à les mettre à leur place. Claude Bernard, qui possédait ce sens exquis, n’était pas de l’avis de M. Chauffard sur la place qu’il fallait faire aux choses philosophiques et scientifiques. Il pouvait penser qu’un esprit qui resterait fermé à l’aspiration éternelle de la raison humaine vers l’inconnu, qui jamais n’aurait d’ouverture sur les régions élevées de la philosophie, limite supérieure des sciences, qu’un tel esprit serait incomplet, découronné, attaché comme un esclave à la glèbe expérimentale. Mais il pensait certainement que le savant qui se laisserait diriger par ces préoccupations étrangères et les importerait dans la science prouverait par cela même, selon l’expression de Newton, qu’il n’est pas homme de science. Il rencontrait en cela l'assentiment des philosophes, de M. Janet qui recon-