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être à l’origine de nature intelligente ; mais, à force d’être répétés dans les générations successives, ils ont pris un caractère purement mécanique. Par exemple, chez les oiseaux granivores, l’acte de gratter la terre avec les pattes a dû être à l’origine un acte intelligent : ils se proposaient de découvrir les graines. Cet acte, par répétition durant des siècles, est devenu instinctif, et se produit automatiquement. C’est ce que montre l’expérience suivante, du Dr Allen Thomson. Il fit éclore des poulets sur un tapis et les conserva là quelques jours. Aucune tendance à gratter ne se manifesta, parce que l’instinct héréditaire n’était pas appelé en jeu par le contact inaccoutumé du tapis. Alors il sema un peu de gravier sur le tapis, et immédiatement les poulets commencèrent à gratter. L’instinct héréditaire se réveilla au contact de son excitant accoutumé.

Mais il est probable que d’autres instincts sont nés d’une autre manière et n’ont jamais eu à l’origine un caractère intelligent. Ils ont commencé par être un ajustement purement accidentel de l’organisme à son milieu, ajustement qui, par l’effet de la sélection naturelle, est devenu réflexe, automatique. Tel est l’instinct de « faire le mort » qui se rencontre chez certains insectes. Ce n’est certainement pas un acte intelligent : ce qui empêche aucun doute à cet égard, c’est que Darwin, par de nombreuses observations, a constaté que l’attitude de l’animal qui fait le mort n’est jamais celle qu’il a pour mourir réellement.

L’auteur, après avoir fait remarquer que l’existence des perceptions chez l’animal n’est contestée par personne, examine l’idéation. Les observations de Darwin et de Lubbock montrent que des abeilles, après un petit nombre d’expériences individuelles, sont capables de contracter des associations d’idées définies, ce qui les place, comme intelligence, au-dessus de certains vertébrés inférieurs, par exemple du brochet (observation très-connue de Möbius, voir Revue philosophique, tome IV, p. 340).

Si l’on se demande comment l’idéation se produit chez l’animal, la réponse est simple. Ordinairement, on dit que les animaux ne possèdent pas la faculté d’abstraction, et que c’est là ce qui différencie leur intelligence de celle de l’homme. Cette affirmation est erronée. Il faut se rappeler la distinction établie plus haut entre deux espèces d’idées abstraites : l’animal n’est privé que de celles qui nécessitent l’intervention du langage. L’auteur cite certains faits pour montrer que l’animal possède les idées abstraites de la première classe, notamment la conception généralisée de cause et d’effet. J’avais, dit-il, un chien qu’effrayait beaucoup le tonnerre. Un jour, on déchargeait des pommes sur le plancher d’un fruitier ; à chaque fois qu’un sac de